Si nombre d’artistes ont fait du corps le sujet principal de leur œuvre, le représentant par le dessin, la sculpture, la peinture, la photographie, certains en ont fait le matériau même de l’œuvre comme Orlan, qui en pionnière du Body Art a transformé et hybridé le sien par le biais de moult opérations chirurgicales, en quête d’un nouvel idéal de beauté, hors des standards convenus.
Dans une exposition de plus de 70 œuvres issues de collections publiques ou privées, le LAAC de Dunkerque nous offre un panorama du corps et de ses représentations par une trentaine d’artistes, de1960 à aujourd’hui.
Elle s’ouvre par une confrontation de notre propre corps à ceux exposés, posant la question de l’altérité, de notre capacité à nous reconnaître ou à nous effrayer : morceaux de corps photographiés par John Coplans, corps déformés de Francis Bacon ou cet inquiétant enfant-automate de Maurizio Cattelan, jouant du tambour assis en équilibre au bord du vide, symbolisant à la fois le jeu et la mort. Le même Cattelan interrogeant la génétique et la possibilité de se cloner dans une autre œuvre, Spermini (1997), un masque de son visage répliqué en 50 exemplaires.
Le corps peut aussi être absent, mais évoqué ou suggéré : Joseph Beuys avec un simple Jeans (La jambe d’Orwell, pantalon pour le XXIe siècle, 1984), ou Pascal Convert avec ses Vases anthropomorphes ; la forme de chacun correspondant à l’empreinte de l’avant-bras de l’artiste.
Se pose aussi la question de l’origine de la création, du périssable et du précaire. Gilles Barbier y répond en se clonant en sculpture hyperréaliste envahie par les lianes et les fougères, devenant homme-végétal (Still man, 2013). Paul Rebeyrolle en montrant la violence du corps –et de la peinture- pour témoigner de la lutte à mener pour (sur)vivre (Homme saignant du nez, 1983).
Le corps peut aussi laisser des traces : celles des poings d’Ushio Shinohara dans un combat avec la toile (Boxing Painting, 1960-2000). Celles aussi de Mark Brusse et ses objets en terre cuite portant la marque de ses doigts ; des traces du vivant certes, mais exposés sur des coussins comme des reliques ou des ex-voto (Coup de main, 1978 - voir ci-contre).
Le parcours d’Every body, qui confronte des œuvres d’une grande diversité de points de vue subjectifs, et qui ne s’étaient peut-être jamais rencontrées, se termine par un espace ouvrant sur d’autres thématiques qui auraient pu être abordées comme la danse, le cinéma, la littérature, l’architecture et même la cuisine. Une sorte de synthèse réunissant un « corpus » de vidéos, de livres, d’images et citations nourrissant cette réflexion sur le corps, « cet étrange objet qui utilise ses propres parties comme symbolique générale du monde et par lequel en conséquence nous pouvons fréquenter ce monde, le « comprendre » et lui trouver une signification, » écrivait Maurice Merleau-Ponty dans Phénoménologie de la perception.
Une exposition à voir… et à penser.
Catherine Rigollet