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Turner et la couleur

Puisant dans les 300 toiles et milliers d’aquarelles et de dessins de J.M.W. Turner (1775-1851) qu’elle détient, la Tate de Londres a prêté près d’un tiers des 120 œuvres présentées ici. C’est dire la qualité de cette exposition, bien étayée et argumentée, qui se veut explorer l’évolution de la palette de l’artiste et son rapport aux couleurs, depuis leur état de pigment jusqu’à leur rendu et efficacité sur la toile ou le papier.

Fils de barbier, autodidacte, mais accepté dès l’âge de 26 ans au sein de la vénérable Royal Academy où il exposera ensuite chaque année, Turner commence par s’inspirer des grands maîtres– Rubens, Rembrandt, Canaletto – et de leur traitement de la lumière pour ses premières toiles et aquarelles. À son premier voyage à Paris en 1802, il découvre Poussin et décide de peindre une version plus cohérente du Déluge, exposée en 1805 dans la galerie que l’artiste avait ouverte pour présenter ses œuvres. Ce tableau ouvre l’exposition. Très vite, Turner s’intéresse aux paysages, aux variations chromatiques de l’atmosphère, aux phénomènes météorologiques et optiques (Arc-en-ciel et bétail, aquarelle de 1815). Ses observations l’amènent à s’intéresser aux théories sur la couleur, celles de Newton, qui avait isolé les sept couleurs du spectre, puis celles de Goethe, développées, en particulier, à partir du contraste entre le clair et le foncé, et qui inspireront la toile la plus étonnante de l’exposition, Lumière et couleur – Le matin après le déluge, Moïse écrivant le livre de la Genèse, 1843. De même, il expérimente les nouveaux pigments, tels que le bleu de cobalt, le jaune de chrome ou le vert viridien, tiré lui aussi du chrome, et prépare ses toiles avec un support blanc pour essayer de retrouver la transparence de l’aquarelle.

Au fil de l’accrochage, on partage les voyages du peintre, en Italie, France, Suisse et Allemagne, sans oublier l’Angleterre de ses mécènes lors de ses premières pérégrinations, ou le village côtier de Margate dans le Kent qu’il visita régulièrement à partir de 1820. Il peint la nature sur le vif, ors incendiés des ciels au soleil couchant, bleus transparents des eaux, architectures ombrées, personnages tout juste esquissés. Les couleurs de ces scènes sereines ou plus dramatiques (Saint-Denis, 1833) sont diluées sur le papier blanc ou bleu (Le soleil écarlate, 1835-40) de ses aquarelles mais prennent toute leur force sur les toiles

La diffusion de ses aquarelles se fait surtout par la gravure en noir et blanc (Ehrenbreitstein durant la démolition de la forteresse, 1819-20 pour l’aquarelle et 1824 pour la gravure). En revanche, les toiles de Turner ne font pas l’unanimité. Les critiques parlent de barbouillages, de fièvre jaune, de peinture au tromblon. Jusqu’à John Ruskin et son plaidoyer ébloui de 1843. L’usage provocateur de la couleur, la touche de pinceau qui confine à l’abstraction, les effets de lumière font de Turner un précurseur de l’impressionnisme et un peintre qui parvient toujours deux siècles plus tard à séduire nos sensibilités esthétiques, souvent mises à mal par certains aspects de la création contemporaine.

Elisabeth Hopkins

Visuels : William Turner, Les Tours vermillon : étude à Marseille. Vers 1838. Aquarelle et gouache sur papier gris. Tate. Accepté par la nation dans le cadre du legs Turner en 1856. © Tate, Londres 2015.
William Turner, Navire approchant du port de Margate par grosse mer (anciennement connu sous le titre Plage de Yarmouth), 1840, Mine de plomb, aquarelle et grattage. Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven © Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection.
Visuel vignette : William Turner, Lumière et couleur (théorie de Goethe) – le matin après le Déluge, Moïse écrivant le Livre de la Genèse. Exposé en 1843. Huile sur toile. Tate. Accepté par la nation dans le cadre du legs Turner en 1856 © Tate, Londres 2015.

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 4 mai au 18 septembre 2016
Hôtel de Caumont, Centre d’Art
13 rue Joseph Cabassol
13100 Aix-en-Provence
Ouvert tous les jours de 10h à 19h
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h30
Plein tarif : 13€
www.caumont.centred’art.com

 

 Présentation de l’exposition en 192 pages et 130 illustrations. Auteur principal : Ian Warrell. Éditions Hazan, 2016, 29€.