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Kôichi Kurita. Mille terres mille vies

Dans la sérénité de la grande salle des religieuses de l’abbaye cistercienne de Maubuisson, mille petits carrés de terre, du brun foncé au safran, tapissent le sol. Ils sont présentés sur du papier japonais, comme les offrandes au pays du soleil levant, à peine effleurés par la lumière qui filtre par les hautes fenêtres. Une œuvre abstraite, simple, contemplative et esthétisante qui s’avère être aussi une aventure humaine, philosophique et artistique. Tous ces échantillons de terre proviennent de « récoltes » réalisées en France, dans un rayon de 300 kilomètres autour de l’abbaye et participent de la grande œuvre menée depuis les années 1990 par Kôichi Kurita. Son but, faire de sa vie un voyage autour du monde et constituer une Bibliothèque de terres, « comme un grand livre à transmettre aux générations futures », dit-il. Pour cet artiste japonais qui refuse toute étiquette d’art minimalisme ou de land art, il s’agit d’une réflexion sur le temps, sur l’éphémère et sur la fragilité de la terre, cette matière naturelle, disparate à l’image des hommes.

Après avoir commencé son odyssée par le Japon où il a déjà réalisé 35 000 prélèvements et couvert pratiquement tout le territoire, Kôichi Kurita a atterri en France, en Poitou-Charentes précisément, à l’invitation de la Biennale de Mlle en 2005. C’est là que nous l’avons rencontré pour la première fois. Depuis, l’artiste a poursuivi sa route, réalisant de nombreuses résidences lui permettant d’aller à la découverte de la richesse chromatique des terres de France, du blanc au noir, en passant par le bleu et le vert. De 2009 à 2013, il a sillonné la région Centre, l’Ile-de-France, la Normandie, la Picardie, le Nord et Champagne Ardenne. Il procède toujours de la même façon, carte en main, au fil des routes et des chemins, il parcourt les campagnes, les villages et même les villes, accompagné de sa femme qui l’assiste depuis toujours. Il repère un champ, un lieu et prélève une poignée de terre, jamais deux. Ce n’est pas la géologie qui l’intéresse, mais la provenance géographique de cette terre, ce qu’elle évoque, et sa couleur. Elle sera ensuite répertoriée, inventoriée, séchée et nettoyée, parfois tamisée et réduite alors à l’état de pigment. Quand il ne la met pas en scène au sol sous forme d’alignements de cônes ou de carrés, l’artiste la présente en flacons, comme dans la salle du Chapitre à Maubuisson. Sur une longue table ovale entourant les deux colonnes centrales de la pièce, 365 fioles en verre (comme autant de jours dans l’année) sont classées par couleur. Ici, trônent les sols de la région Poitou-Charentes, tel un concentré de territoire bigarré, une mémoire du vivant et un écho aussi de la trace des hommes qui ont habité, foulé, cultivé cette terre nourricière où germe et s’enracine la vie, parcouru sa diversité géologique et sa beauté, oubliant souvent de baisser les yeux pour la regarder.

Dans l’ancienne salle du parloir plongée dans le silence depuis maintenant des siècles, 108 terres du Japon, un nombre sacré dans les religions orientales (1 l’objet, 0 le néant, 8 l’infini) forment un cercle, « un arc en terre » évoquant symboliquement le cosmos. Elles sont mêlées à de l’eau dans des coupelles en verre et en séchant se craquellent, rappelant combien la terre peut être fragile, devenir sèche, aride, infertile ou même un poison pour l’homme. Pourtant « la terre est innocente, le crime est humain », philosophe le sage Kôichi Kurita qui, bien avant que le tsunami déclenche l’accident nucléaire de Fukushima, était venu dans la région ramasser une poignée de terre. Muséifiée, mise sous cloche telle une relique, cette œuvre éminemment symbolique clôt la très belle et zen exposition conçue par Isabelle Gabach. Kôichi Kurita a déjà l’esprit dans ses prochains voyages. Et quand on lui demande s’il s’arrêtera un jour de collecter les terres du monde, il répond en souriant qu’il « poursuivra même dans une autre vie ». Sa femme chuchote ne pas être certaine de l’accompagner.

Catherine Rigollet

Visuel : Kôichi Kurita, Notre terre – votre terre, Installation de 1000 terres de France. Salle des religieuses - Abbaye de Maubuisson, 2014 ©Kôichi Kurita.
Et Bibliothèque de terres (détail), 365 terres de la région Poitou-Charentes, Installation Abbaye de Maubuisson, 2014 ©Kôichi Kurita.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 12 mars au 5 octobre 2014
Abbaye de Maubuisson
Site d’art contemporain du Conseil général du Val d’Oise
Av. Richard de Tour - 95310 Saint-Ouen l’Aumône
En semaine, sauf mardi, de 13h à 18h
Week-end, de 14h à 18h
Entrée libre
Tél. 01 34 64 36 10
www.valdoise.fr

https://www.facebook.com/maubuisson

 


 Kôichi Kurita est né en 1962 à Yamanashi au Japon. Il a exposé exclusivement au Japon et en France. On peut suivre son travail et les photographies de ses voyages sur son site.
http://soillog.exblog.jp

 


 Kôichi Kurita expose également à l’Orangerie, au Domaine départemental de Chamarande, du 9 mars au 11 mai 2014.

 


 Le catalogue monographique sur Kôichi Kurita, co-édité par le Conseil général du Val d’Oise et celui de l’Essonne, prolonge et conserve la démarche et les traces des interventions de Kurita. Liénart éditions, 23€.