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Biennale Arte 2019. 58th International Art Exhibition

Disons-le d’entrée de jeu, on a passé un jour entier à l’Arsenale, puis un jour entier aux Giardini et on est loin d’avoir tout vu. Circonstances atténuantes : 79 artistes invités montrant leur travail dans les deux lieux, 90 pavillons nationaux et des vidéos chronophages, très à l’honneur cette année, et qui méritaient bien souvent d’être vues de bout en bout, même si elles duraient 15, 30, 45 minutes ou plus…

À l’Arsenale, on a donc manqué les pavillons italien, chinois, lithuanien, ce dernier ayant reçu le Lion d’Or ; aux Giardini, constaté avec tristesse mais sans surprise que le pavillon vénézuélien était fermé et passé à côté des pavillons autrichien, serbe, polonais et tchèque.
Donnant un titre à la Biennale à partir d’une prétendue invective utilisée dans la Chine ancienne, et traduite par “May you live in interesting times”, le directeur artistique, Ralph Rugoff, actuel directeur de la Hayward Gallery de Londres, n’a retenu pour justifier ses choix que les mots “interesting times”, qui lui paraissent bien décrire notre époque de mouvements et de réseaux sociaux, de constructions de murs, de guerres civiles, de douloureuses migrations, de politiciens désavoués et impuissants, de prises de conscience écologiques . Des “interesting times” qui soulèvent bien des questions : l’art actuel doit-il témoigner ou dénoncer ? Ouvre-t-il à de nouvelles quêtes esthétiques, sociales, politiques, voire religieuses ? Est-il lui-même un vaste réseau social transfrontalier potentiellement fédérateur ?
Quel qu’en soit la finalité ou la mission, la Biennale est un peu comme l’auberge espagnole, on s’y nourrit de ce que l’on y apporte : ses connaissances, ses goûts, ses attentes… et ce qui suit est subjectif, et n’engage que son auteure.

Il y avait donc 79 artistes à découvrir (ou redécouvrir) à la Corderie de l’Arsenale. Florilège.

À l’entrée, une représentation en noir et blanc de deux poivrots (Double Elvis) par George Condo, réminiscence d’une œuvre de Warhol. L’œuvre est, selon son créateur, « la splendide glorification de l’humanité des bas-fonds ». Glorification aussi des malheureux des environs de Calcutta (série Angst) dans les splendides photographies de Soham Gupta. Zanele Muholi, photographe sud-africaine, va ponctuer notre long parcours de ses splendides auto-portraits grand format où cheveux et bijoux seront remplacés par des outils, véritable défi aux critères de beauté imposés. (Dans une première vie, l’artiste fut coiffeuse).
La première pause vidéo nous est offerte par Christian Marclay et son patchwork de 48 films de guerre, une imbrication concentrique qui ne laisse que quelques centimètres de bordure sur lequel les films se déroulent. Esthétique, mais difficilement regardable plus que quelques minutes. Deuxième pause vidéo rigolote avec les burgers d’Ed Atkins qui se plient et se déplient comme un accordéon (Old food, 2017-2019), suivie par l’émouvante installation de Shilpa Gupta : de 100 micros sortent, en langues diverses, quelques vers censurés de 100 poètes, imprimés sur des feuilles blanches empalées. On est captivé par l’installation, mais exclus par la langue. La sculpture “tordue” de Carol Bove (Nike III, 2019) s’offre au regard comme une langueur jusqu’à ce que l’on comprenne qu’elle est solidement métallique. Julie Mehretu a laissé de côté ses géométries urbaines pour laisser le pinceau se balader sur sa palette puis sur la toile et Lawrence Abu Hamdan, artiste expert en balistique que l’on avait découvert à Francfort, passe à la vidéo petit format pour dénoncer une fois de plus le conflit israëlo-palestinien, tandis Liu Wei magnifie le monde microscopique des particules pour en faire une installation magnifique évoquant plutôt un chaos originel (Microworld, 2018).
Eskalation, 2016 d’Alexandra Bircken, montre une fin d’humanité grimpant ou descendant une échelle, qui n’est pas celle de Jacob, chaque personne réduite à une simple enveloppe de latex noire. Une dystopie dérangeante. À peine plus rassurantes, les sculptures féminines en verre d’Andra Ursuta qu’elle décrit comme des “contemplations tragi-comiques de la vie”. Quant à Mari Katayama, elle se met en scène (comme Cindy Sherman), exhibant sans complexe ses infirmités (2 prothèses de jambes, une main à deux doigts). Une vision d’elle même sans pathos, en tout cas sur la pellicule, et qui, étrangement, fascine plus qu’elle ne dérange. Jimmie Durham, Lion d’Or pour l’ensemble de son œuvre, donne la parole aux grands mammifères qui devront être protégés et mélange mobilier, textiles et matériaux industriels, pour créer un animal quasiment mythique tel que le bison, le lynx, ou le dogue allemand. On retrouvera les 79 artistes, que l’on aurait voulu tous mentionner, avec des œuvres similaires ou totalement différentes, dans le labyrinthique pavillon central des Giardini.

À l’Arsenale, il nous restait peu de temps pour visiter quelques pavillons nationaux.

Les 52 000 pièces de cuir traité aux formes organiques de Zahrah Al-Ghamdi, une land artiste soucieuse de témoigner de son héritage dans le pavillon du royaume saoudien, montent à l’assaut de surfaces blanches lumineuses, qui lui rappellent son village natal. Au pavillon du Luxembourg, l’origine portugaise de Marco Godinho l’incite à explorer les relations de l’homme avec la mer. Une vidéo d’un homme semant au vent les pages de l’Odyssée et une installation de centaines de livres/cahiers, plongés dans la Méditerranée et donc illisibles, renvoient à l’histoire qui s’y inscrit : voyages mythiques, touristiques ou périlleuses traversées migratoires. Madagascar participe avec un premier pavillon, financé par des donations privées. Des milliers de feuilles de papier de soie noires ont été pendues au plafond par Joël Andrianomearisoa. « Dans la pièce, je suggère de vêtements oubliés, un livre ouvert un peu abandonné, je suggère aussi des murs qui sont brûlés.”, dit l’artiste soucieux d’apporter au monde un début de dialogue avec son pays.
Le pavillon du Ghana, conçu par l’architecte anglo-ghanéen David Adjaye accueille sur ses cimaises les tapisseries métalliques, aujourd’hui iconiques, d’El Anatsui, les photos de Felicia Abban et le triptyque vidéo de John Akomfrah, Four Nocturnes, 2019, qui offre en 90 splendides minutes, un récit où se mêlent histoire, écologie, mythologie, et destruction sur fond de nature africaine.

Alors que l’heure de la fermeture sonnait, il y eut tout juste le temps de voir Barca Nostra, le bateau qui chavira en 2015 noyant des centaines de migrants érythréens. Il a été déposé là, sans explications, par Christoph Büchel, l’artiste suisse-islandais qui s’était fait une réputation en essayant, pour la Biennale de 2015, de transformer une vieille église vénitienne en mosquée. Art ? Non. Provocation ? Peut-être. Il reste qu’on se demande si c’est là la plus belle forme d’hommage à rendre aux migrants.

Elisabeth Hopkins

 Si vous souhaitez poursuivre notre visite des pavillons nationaux aux Giardini : reportage 2e jour à Venise.

 Pavillons et artistes des Giardini et de l’Arsenale ne devraient pas faire oublier que dans les palazzi et autres lieux de la Sérénissime sont montrés maints projets qui valent le coup que l’on se perde par ponts, campi et fondamente pour les dénicher. Reportage.

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 11 mai au 24 novembre 2019
Arsenale et Giardini, Venise
Fermé les lundis sauf 2 septembre et 18 novembre
Arsenale : de 10h à 18h, nocturne les vendredis et samedis jusqu’à 20h jusqu’au 5 octobre
Giardini : de 10h à 18h
Entrée : 25 € pour une entrée dans chaque site
35 € pour des entrées multiples dans chaque site pendant trois jours consécutifs.
www.labiennale.org

 

Visuels page expo : Jimmie Durham, Various works, 2017. Mixed media. Photo E.H.
Zanele Muholi, Various works, 2015-2018. Wallpaper. Photo E.H.
Mari Katayama, Various works, 2011-2017. Mixed media. Photo E.H.
Andra Ursuţa , Various works, 2019. Hollow cast glass form filled with liquid. Photo E.H.
Shilpa Gupta, For, In Your Tongue I Cannot Fit, 2017-2018. Sound installation with 100 speakers, microphones, printed text and metal stands. Photo courtesy 58e Biennale de Venise.
Christoph Büchel, Barca Nostra, 2018-2019. Shipwreck 18th of April 2015. Photo courtesy 58e Biennale de Venise.
Visuel logo : Alexandra Bircken, Various works, 2016-2019. Mixed media. Photo E.H.