Monfleur, Denis - Sculpteur

Humanité de pierre

La rencontre avec l’œuvre de Denis Monfleur est frontale et saisissante. Dans son atelier perché sur les hauteurs de Fontenay-sous-Bois, une armée de monolithes de plusieurs tonnes vous fait face. Une foule d’humains en chair de pierre, figée, silencieuse, comme contemplative. Des corps, des torses, des têtes taillées comme de simples bifaces, des visages, presque tous portant la trace des outils qui leur ont donné naissance, comme chez le sculpteur Dodeigne. Des scarifications qui font vivre la pierre, accrochent la lumière, provoquent un surplus d’émotion. Tel ce mystérieux Ange noir en granit polychrome à la face lacérée d’entailles horizontales évoquant les bandelettes d’un linceul. Ces sculptures monumentales peuvent mesurer jusqu’à trois mètres de haut. Elles gardent en elles les stigmates de l’épuisant corps à corps que le sculpteur dut livrer pour les faire surgir du bloc informe de granit ou de basalte, leur donner vie et expressivité, d’abord avec une découpeuse, puis armé de burins de tungstène et d’une masse. Une taille directe, en toute liberté.

Mi-abstraits, mi-figuratifs, ces totems massifs et archaïques, voisinent en toute sérénité avec un groupe d’autres sculptures de quelques dizaines de centimètres. Des personnages longilignes comme des Giacometti, partiellement émaillés, souvent de blanc comme revêtus d’un voile pudique et plein de préciosité. Un face à face étonnant et audacieux qui pourrait écraser les unes et alourdir les autres. Mais l’art de Denis Monfleur (en synthèse dans son atelier-show-room), donne de l’aérien à la pesanteur, de la puissance à la légèreté et une sensibilité à fleur de peau de cette pierre, même la plus anguleuse. Un savoir-faire et surtout un défi que cet autodidacte, qui dès l’âge de 8 ans voulait devenir sculpteur, relève avec la même passion et la même pugnacité depuis qu’adolescent il ressenti « un choc devant l’art roman -dont il continue à se nourrir- et la liberté incroyable des œuvres de Picasso ».

Depuis, il s’est imprégné de l’histoire de l’art, a élu Michel-Ange et surtout Donatello comme ses maîtres, a travaillé pour des sculpteurs qui l’ont aidé à se former tels José Subira Puig, Dietrich Mohr et Marcel van Thienen, et parmi les artistes contemporains, cite volontiers parmi ses coups de cœur Louise Bourgeois, Giuseppe Penone ou Rebecca Horn. Né en 1962 à Périgueux, dans cette verte Dordogne où il possède un atelier, Denis Monfleur aime à se retrouver en pleine nature, s’amusant même à sculpter de surprenantes fleurs de pierre. Il a conservé de ses années de jeunesse le goût du travail manuel, l’envie de créer en solitaire, sans intermédiaire, gardant intact cette sensibilité et cette intimité avec la pierre. Particulièrement lorsqu’elle est magmatique, éruptive, qu’elle vient du plus profond des entrailles de la Terre comme cette fabuleuse diorite, la pierre la plus dure qui soit. Avec elle, il a fait ce Christ diorite (2016), « crucifié » sur une plaque d’acier. Un concentré d’émotion et de spiritualité susceptible de bouleverser l’esprit le plus athée.

Avec quelque 5 000 sculptures à son actif, Denis Monfleur est encore loin d’avoir tout dit avec la pierre. Il poursuit son travail sériel (Les Anges, Les Assis, Les Vanités, Les Ménines, Les Torses, les Pères et fils, Les Femmes de Sardanapale, Les Christ, Les Stylites, ou encore les Moines bouddhistes, sa dernière série 2017…). Sculpture après sculpture, achevant chacune quand « elle tient », qu’elle a trouvé son équilibre, il ne cesse d’expérimenter, de surmonter les difficultés techniques en émaillant des laves du Mont Dore, de jouer avec les coulures d’un blanc onctueux et brillant comme une meringue, ou d’un rouge sang traduisant on ne sait quel acte sacrificiel ou mettant en scène une dramaturgie de la condition humaine. Cette condition humaine au cœur de la réflexion de l’artiste. Car si les sculptures de Denis Monfleur sont « parfois des fulgurances », elles sont généralement issues d’un schéma mental. Jamais dessinées au préalable, mais longuement pensées pour transmettre de l’humanité à la pierre (Lecture sur l’herbe, 2017), pour raconter des épisodes de l’histoire (La découverte du code d’Hammurabi, 2016, Un héros grec, 2017), évoquer la dignité humaine comme cette Olympe de Gouges (2016), ou L’Apporteur de l’espoir (2016), créé à l’occasion du 80e anniversaire de la Guerre d’Espagne, en hommage aux volontaires internationaux partis combattre pour la République espagnole, contre le fascisme et pour la liberté ; un colosse exposé sur l’esplanade de la gare d’Austerlitz à Paris.

Des œuvres universelles, intemporelles et à la fois des condensés de l’histoire de la sculpture, depuis le Paléolithique jusqu’à l’art contemporain, dont chacun peut se nourrir. Des sculptures pensées pour faire sens et lien avec ceux qui les regarderont, où qu’ils soient dans le monde.

Catherine Rigollet (septembre 2017)
Photos : Lionel Pages (sauf photo 14 : L’Apporteur de l’Espoir, 2016. Courtesy D. Monfleur)