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Dora Maar

Picasso a-t-il tué Dora Maar ?

Muse de Picasso ayant abandonné la photo pour la peinture sous l’influence de son célèbre amant, Dora Maar une fois quittée par le maître de Guernica n’a jamais renoué avec le talent et l’inventivité de photographe proche des surréalistes qui la firent connaître dans les années 1930. Cette grande et légitime rétrospective qui fait toute la lumière sur la diversité de son œuvre, le révèle aussi. Et on en sort en se disant que Dora la Belle s’est fait dévorée par Pablo le Cronos.

Issue d’un milieu bourgeois, fille d’un architecte ayant fait carrière en Argentine, Henriette Théodora Markovitch (1907-1997), dite Dora Maar se forme à École des arts appliqués pour femmes à Paris, puis à l’Académie Julian et auprès d’André Lhote et enfin à l’École technique de photographie et de cinématographie de la Ville de Paris. Préférant la photographie à la peinture, elle ouvre en 1931 un premier studio photographique avec le décorateur de cinéma Pierre Kéfer, puis son propre studio en 1935, où elle peut exprimer en toute indépendance son sens aigu du style, de la mode, et de la modernité. Elle collabore à Excelsior modes, Femina, Le Figaro illustré…nous laissant des photographies inventives et souvent audacieuses comme cet inoubliable mannequin en robe lamée avec une immense étoile à la place de la tête.
Plutôt classique dans ses premières photos de mode, Dora va vite libérer sa créativité, transgresser les codes, dédoublant des portraits en utilisant la surimpression, érotisant ses nus par des ombres (Assia, 1934) ou des accessoires (masque, fourrure, candélabre). Elle réalise dans le même temps d’énigmatiques photomontages surréalistes. Composés avec des éléments tirés sur papier photographique, ils évoquent l’érotisme, le sommeil, l’œil, l’inconscient, l’univers maritime comme cette fabuleuse Main-coquillage (1934). Avec Man Ray et Hans Bellmer, elle fait partie des rares photographes exposés lors des grands événements du mouvement, comme en 1936 l’International Surrealist Exhibition à la New Burlington Galleries de Londres, ou à la Galerie Charles Ratton à Paris, pour « L’exposition surréaliste d’objets ». Parmi les œuvres les plus exposées à l’époque : le désormais célèbre et insolite Portrait d’Ubu (1936), une étrange créature (fœtus de tatou a-t-on dit), considéré aujourd’hui comme une icône du surréalisme, et Le Simulateur (1935), un garçon exagérément penché vers l’arrière sur fond de voûtes de l’Orangerie de Versailles, à l’envers.

Si Dora Maar cultive le goût pour le bizarre, c’est aussi une femme en phase avec la réalité, photographiant le monde qui l’entoure, celui de la rue et des inégalités sociales à Paris, comme à Londres ou Barcelone. Notamment les populations fragilisées par la crise économique qui a suivi le krach de 29, mendiants, petits ramoneurs, marchands ambulants ou montreurs d’animaux dressés. Rencontré durant l’hiver 1935-36, Picasso dont elle devient l’amante et la muse va bouleverser sa vie et son œuvre. Il l’immortalise avec ses ongles rouges et en « Femme qui pleure », la pousse à abandonner la photographie pour la peinture. Alors, elle peint. Mais en imitant le cubisme du maître sans pouvoir l’égaler, (Pablo Picasso, 1936), en réalisant des natures mortes qui nous laissent sans émotion. Elle trouvera peu à peu son style dans des paysages abstraits (Paysage du Lubéron, années 1950), tout en déclarant paradoxalement que « l’abstraction mène à un mur ». Entre-temps, Picasso l’a quittée en 1943 pour la jeune Françoise Gilot. Et Dora Maar a sombré dans une douloureuse dépression nerveuse, jusqu’à se faire interner et subir des séances d’électrochocs. Dans les années 1980, elle va se remettre à la photographie, mais sans appareil, en réalisant d’assez séduisants photogrammes. Mais la grande créativité des années 1930 n’est plus là.
Picasso quant à lui s’est enrichi au contact de Dora Maar qui lui a apporté un souffle nouveau, immortalisant aussi par ses photographies la genèse de Guernica, son chef-d’œuvre sur la guerre d’Espagne. Il a fait d’elle un personnage romanesque et tragique, qui va se réfugier dans la religion et une peinture qu’elle ne montre pas, avant de mourir dans la solitude d’une recluse devenue mystique et réactionnaire, sa renommée artistique éclipsée par celle de son mythique amant.

Catherine Rigollet

Visuels : Dora Maar, Sans titre (Main-coquillage), 1934. Épreuve gélatino-argentique. Collection Centre Pompidou, Paris musée national d’art moderne
Dora Maar, Sans titre, 1935. Photocollage, épreuve gélatino-argentique, impression photomécanique. Centre Pompidou.
Dora Maar, Pablo Picasso, 1936, pastel sur papier, 57,5 x 45 cm. Collection particulière, Yann panier, courtesy Galerie Brame et Lorenceau © Adagp, paris 2019. Photo © the museum of fine Arts, Houston.

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Du 5 juin au 29 juillet 2019
Centre Pompidou
Tous les jours, sauf le mardi
De 11h à 21h
Nocturne le jeudi jusqu’à 23h
Tarif plein : 14€
Tél. 01 44 78 12 33
www.centrepompidou.fr


 À la Tate Modern du 20 novembre 2019 au 15 mars 2020