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Eileen Gray. Designer libre

Le Centre Pompidou consacre un bel hommage à la créatrice irlandaise, Eileen Gray, une conceptrice audacieuse, dont l’œuvre traverse l’Art déco et le mouvement moderne dont elle fut une pionnière à plus d’un titre, combinant les modes d’expression artistiques et hybridant techniques et matériaux. Une femme de talent, indépendante, libre et secrète.

Rare femme dans un univers de l’architecture et du design largement dominé par des hommes, non-conformiste et autodidacte dans de nombreux domaine, Eileen Gray (1878-1976) a participé à la révolution du modernisme, au même titre que Le Corbusier ou Mies Van Der Rohe. Elle a créé toute sa longue vie, sans se soucier des frontières entre la peinture, le textile, la photographie, la laque ou l’architecture.
Jeune aristocrate irlandaise née en 1878, Eileen Gray voyage, étudie le dessin et la peinture à Londres, découvre l’art de la laque, se passionne pour cette technique et vient poursuivre sa formation artistique à Paris. Elle s’y installe définitivement en 1906. Riche, indépendante, Eileen Gray est une femme audacieuse et libre qui voyage, achète sa première voiture en 1909, s’intéresse à l’aviation, travaille. Elle entame une fructueuse collaboration avec le laqueur japonais Seizo Sugawara. De leur atelier sort des pièces de mobilier et de décoration en laque, d’inspiration Art déco, dont la qualité et l’élégance va séduire une riche clientèle de célébrités, à commencer par le grand couturier et collectionneur Jacques Doucet qui lui achète notamment le fameux paravent à double face, laqué rouge, Le Destin, 1914 (hélas absent de l’exposition). Eileen Gray ouvre également un atelier de tissage et expose ses tapis abstraits et cubistes dans sa galerie Jean Désert. Une période particulièrement prolifique. Tout en décorant des appartements, elle entame ses premières incursions dans le monde de l’architecture, sans aucune formation dans ce domaine. Surplombant la baie de Roquebrune-Cap-Martin, la « maison en bord de mer », connue sous le nom de
E 1027 sera son chef-d’œuvre en la matière. Modèle de modernité sensible, c’est le fruit d’un quatre mains avec son ami l’architecte roumain Jean Badovici, pour qui cette résidence de vacances est destinée. Pour meubler ce long vaisseau blanc, elle rompt avec le style Art déco et crée un mobilier épuré, simple (parfois même un peu raide et froid), mais d’une grande ingéniosité : meuble mobile pour pantalons, siège-escabeau-porte-serviettes, banquette amovible, armoire extensible, coiffeuse-paravent, hybridant avec génie les matériaux, le cuir, l’acier, le liège, la laque, le bois brut, jouant sur l’asymétrie. La villa, achevée en 1929, fait l’objet d’un numéro spécial de l’Architecture vivante, tandis que Gray, dans une veine plus populaire et sociale –à l’instar de sa consœur Charlotte Perriand-, se lance dans des plans de tente de camping, Maison ellipse préfabriquée, centre de vacances et centre culturel et social. Ils resteront certes à l’état de projets, mais on regrette de ne pas les voir présentés dans l’exposition. On y découvre en revanche ses plans et maquettes concernant deux autres maisons qu’elle conçoit pour elle, toujours avec le même esprit de simplicité des volumes et de recherche d’un certain art de vivre : Tempe a Pailla (le temps de bailler), édifiée sur les hauteurs de Menton, en 1934 et Lou Pérou, près de Saint-Tropez, en 1954. Eileen Gray, qui restera créative jusqu’à la fin de ses jours, vit désormais en retrait, dans son appartement de la rue Bonaparte, à Paris. En 1968, un article flatteur de Joseph Rykwert, publié dans le magazine Domus remet son mobilier fonctionnel et sensible au goût du jour ; un succès amplifié par la vente de la collection Jacques Doucet en 1972. Avec des prix fous, comme ce Fauteuil aux dragons adjugé 21,9 millions d’euros ou le Miroir satellite envolé à 2,6 millions d’euros, la vente organisée par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, en février 2009, la hisse au panthéon des designers.
L’exposition au Centre Pompidou est remarquable, par la sélection des œuvres (soixante-dix pièces de mobilier, objets, gouaches, photographies, maquettes et documents) et leur rareté. Eileen Gray n’a jamais développé de production industrielle et toutes ses pièces sont donc uniques ou éditées à quelques exemplaires comme ce paravent en liège (édité à 5 exemplaires en 1973 sur un modèle de 1960). Les trois quarts de ses créations se trouvent par ailleurs dans des collections privées, disséminées dans le monde entier.

Catherine Rigollet

Visuel page expo : Fauteuil Transat, 1926-1929. Sycomore verni, acier nickelé, cuir synthétique. Mobilier provenant de la maison E 1027, Centre Pompidou/ photo Jean-Claude Planchet. ©DR.
Portrait d’Eileen Gray par Berenice Abbott, Paris, 1926. ©Berenice Abbott / Commerce Graphics.
Visuels page accueil : Fauteuil Bibendum (en référence aux pneus Michelin), circa 1930. Métal chromé, toile. Mobilier provenant de la collection de Mme Tachard. Coll. Privée. © photo : Christian Baraja, Studio SLB. Table ajustable, 1926-1929. Acier tubulaire laqué, acétate de cellulose. Mobilier provenant de la maison E 1027. Centre Pompidou. Centre Pompidou/ photo Jean-Claude Planchet. ©DR
Coiffeuse-paravent, 1926-1929. Bois peint, aluminium, verre, liège, feuille d’argent. Mobilier provenant de la maison E 1027. Centre Pompidou. ©Dist. RMN-GP

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 20 février au 20 mai 2013
Centre Pompidou
Galerie 2, niveau 6
Tous les jours, sauf le mardi
De 11h à 21h
Tarif plein : 13€
Tél. 01 44 78 12 33
www.centrepompidou.fr