Pour cette première rétrospective Félix Vallotton au Royaume-Uni, la Royal Academy a rassemblé quatre-vingts peintures et dessins. Le meilleur d’un étrange Vallotton qui ne semble pas vouloir séduire le spectateur… mais qui le séduit par son étrangeté !
Elle devait être trop sévère la vie en Suisse pour ce jeune homme, de seize ans, élevé dans une famille protestante à la fin du 19e siècle. Vallotton (1865-1925) décide donc de partir pour Paris et de s’inscrire à l’Académie Julian (plutôt qu’aux Beaux-Arts). À lui, le monde parisien, régi par une IIIe République démocratique, ses outrances dénoncées par le syndicalisme révolutionnaire, les insouciances de la Belle Époque, et à l’horizon lointain, la Grande Guerre.
Vallotton peint, son réalisme se démarquant de l’impressionnisme auquel il reproche de ne s’intéresser qu’aux paysages au détriment des réalités vécues ou de l’abstraction naissante. Il est précis et détaché dans ses observations, que ce soit de lui-même ou d’une enfant malade (The Sick Girl, 1892).
À cette époque, il se lie avec les Nabis, adopte leur technique avec Le Bain au soir d’été (1892/93), composition plane des corps, des visages et du paysage, qui suscite l’indignation du public au Salon des Indépendants. Comme eux, il peint l’intimité des intérieurs bourgeois : ses aplats de couleurs font ressortir des velours et tapisseries sombres qui abritent peut-être d’illicites liaisons.
Grâce aux Nabis, il intègre le cercle d’artistes, politiciens et intellectuels proches de « La Revue Blanche » des frères Natanson où tout sujet est bon à débattre. Il en devient l’un des principaux illustrateurs, et par ailleurs, l’un des meilleurs graveurs de sa génération. Ses gravures sur bois, Intimités (1897/98), lui permettent d’ironiser sans état d’âme sur les mœurs relâchées de la bourgeoisie parisienne qu’il reprend dans des narrations peintes telles que La Visite (1899).
Un mariage “avantageux” lui apporte la sécurité financière : ses intérieurs confinés s’ouvrent à la lumière, et ses gravures stylisées laissent place à une peinture tranquillement réaliste (Gabrielle Vallotton, 1905). Les nus féminins (qui n’ont pas la désinvolture du Déjeuner sur l’Herbe) l’occupent après 1904 ; leur succèdent sa dernière série de six gravures sur bois, consacrée à la guerre. Un nouveau changement d’orientation, et Vallotton terminera sa carrière artistique et sa vie sur une série de paysages, aussi sereins que les plans d’eau qui s’y alanguissent à l’ombre des arbres, sous des ciels pastel.
Étrange Vallotton qui ne semble pas vouloir séduire le spectateur ; le laissant sur le seuil de ses chambres et salons, éloigné de ses paysages. Et ses femmes dévêtues semblent bien peu se soucier de lui. Ne pas hésiter pourtant à grimper les étages de la Royal Academy, on sort conquis par ses toiles autant que par son œuvre gravé.
Elisabeth Hopkins