Trocquet, François - dessinateur

Le paysagiste au stylo à bille

Son stylo-bille noir Pilot n.05 crisse inlassablement sur la feuille blanche, finissant de noircir un grand paysage constitué d’une architecture contemporaine étrangement déserte. Dehors, le ciel est lumineux, et par la fenêtre on distingue un morceau de mer et des cheminées du port du Havre. François Trocquet semble hors du temps.

Depuis qu’il a arrêté la peinture pour le dessin en 1999, il a couvert des milliers de feuilles d’œuvres sérielles : arbres, intérieurs, promeneurs, maisons cadrées serrées comme des portraits, paysages sans ligne de fuite. Ne cessant d’agrandir le format de ses papiers (1,40 m X 1m) pour aller toujours plus loin dans l’expérimentation technique du stylo et du noir, et nous emmener ailleurs, dans des lieux transfigurés par son imaginaire et ses états d’âme.

Contrairement aux apparences, les dessins de François Trocquet ne sont pas réalistes, au sens « photographique » du terme. Si l’artiste s’inspire d’images, ils les recomposent et les recadrent supprimant des éléments et exagérant des perspectives, avant d’y glisser une curieuse boule blanche venant perturber le regard et interroger le spectateur : œil inquisiteur, ironie cartoon, sphère surréaliste, astre insolite, trou provocateur bouleversant l’ordonnancement de la composition ? Rien n’est finalement paisible dans le monde selon Trocquet.
Des paysages et des motifs, stylisés, irréels (comme ces architectures renversées, ces intérieurs vides) et chargés d’histoire de l’art (comme des hommages), dans lesquels on retrouve tout à la fois le romantisme de Caspar David Friedrich, le suprématisme de Kasimir Malevitch, la virtuosité du dessin de Fred Deux, l’étrangeté nocturne de Léon Spilliaert et la poésie lumineuse de Joseph Sima. La lumière, voilà ce qui excite l’imagination de François Trocquet et le fait se pencher des journées entières sur sa planche à dessin. Non pas, comme il l’explique, la lumière qui vient éclairer les objets ou le paysage, mais ce fluide mystérieux qui émane de l’intérieur de la matière et qui jaillit ici du noir, comme chez Pierre Soulages.

Depuis peu, François Trocquet à retrouvé le chemin de la couleur, s’essayant à aquareller le dessin « pour le perturber », dit-il. Mais il n’est jamais aussi convainquant que lorsqu’il nous immerge dans l’austère minutie et l’étrangeté parfois brutale de son univers graphique en noir et blanc.

Texte Catherine Rigollet (mai-juin 2016)
Reportage photo et vidéo : Lionel Pagès (sauf photos 6 et 9 ©D.R)