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Gérard Garouste. Zeugma

Triple actualité parisienne et thème récurrent : le pont ou le lien (Zeugma en grec), pour le peintre français Gérard Garouste (né en 1946). Toujours en quête du pourquoi de l’existence, son art singulier, indissociable d’un engagement à la fois intime, spirituel et politique, imbrique onirisme fou et sens caché -ou pas. Car pour Garouste, un tableau renferme toujours du sens, même s’il ne nous saute pas aux yeux, tellement l’artiste truffe ses œuvres de symboles et de références complexes à l’histoire, la religion, l’art, la mythologie, mais aussi ses douloureux souvenirs d’enfance, ses obsessions, ses délires…

À la Galerie Templon -où on a encore en mémoire ses Contes ineffables exposés en 2014-, le peintre met en scène dans une trentaine de nouveaux tableaux, le pont entre le Talmud, les récits mythologiques ou littéraires, et sa propre histoire. Des œuvres, semblables à des fables, qui interrogent, angoissent ou font sourire, où l’on croise Pinocchio, Franz Kafka, Borges, des membres de la famille de Garouste et l’artiste lui-même, entourés d’un vocabulaire iconographique récurrent : les animaux (mule, oie -grasse-, grenouille), mais aussi les livres, les dés, les ponts, l’eau, et toujours ces corps aux formes d’inspiration maniériste héritée du Greco et ces couleurs affranchies du réalisme.

Aux Beaux-Arts de Paris, effet de surprise garanti dans la grande cour vitrée avec plusieurs installations monumentales, surprenantes et drolatiques en référence à Rabelais et à la Divine Comédie de Dante. Parmi les plus étonnantes de ses pièces réalisées entre 1987 et 2003 avec la technique des Indiennes (de la peinture à l’eau sur toile encollée mais non enduite, donc absorbante), la Dive Bacbuc, qui prend sa source dans le Cinquième Livre de Rabelais, est une installation fermée sur elle-même, dont les scènes cocasses peintes à l’intérieur s’observent, à la dérobée, grâce à douze oculi placés tout autour de la rotonde. Ou encore Ellipse, une pagode abritant un labyrinthe, et qui foisonne d’images et d’inscriptions dont la lecture sollicite tout autant la mémoire littéraire et artistique (on pense parfois à Jérôme Bosch face à ses personnages fantastiques), que l’imagination du visiteur. Des œuvres fabuleuses à décrypter ou simplement à contempler en laissant son esprit vagabonder.

Catherine Rigollet

 Au musée de la Chasse et de la Nature, l’œuvre de Garouste, Diane et Actéon, a été regroupée avec ses dessins préparatoires et études peintes dans une seule salle, au lieu d’être dispersée dans les étages comme le musée aime le faire pour les œuvres contemporaines. On ne peut que s’en féliciter ! Ovide, poète latin, décrit dans Les Métamorphoses (début du 1er siècle après J.C.) comment la déesse Diane, est surprise au bain par le chasseur Actéon. Ce crime de lèse-divinité lui vaut d’être transformé en cerf d’un coup d’aspersion de la déesse et dévoré par sa meute.
Et si Garouste a mis de côté ses thèmes bibliques ou talmudiques favoris, on retrouve néanmoins bien sa patte de peintre dans la représentation du mythe ovidien : le bleu de ses fonds contrastant avec les bruns, les corps déconstruits aux membres disproportionnés, la présence d’animaux. La toile finale (qui ornera les murs du club) ouvre le bal. À une Diane, au visage d’Elisabeth (l’artiste-designer et épouse du peintre), presque anamorphosée, cachant ses seins de ses membres roses et lisses entremêlés, s’oppose un Garouste/Actéon se transformant en cerf et déjà attaqué par ses chiens. Un corps à deux têtes, humaine et animale, hurlant à la mort, des membres désarticulés, une touche de pinceau brutale qui transforme la chair en viande bientôt déchiquetée. Une des études peintes s’intitule d’ailleurs “Actéon émasculé”.
Maintes interprétations ont été données du mythe Diane/Actéon. Garouste, lui, s’attache au châtiment de celui qui a vu, sans le vouloir, ce qu’il n’aurait pas dû voir. L’homme qui pénètre dans les domaines des dieux. Une transgression, dénuée de la lubricité de Suzanne et les Vieillards ou du désir amoureux de David et Bethsabée, mais qui lui vaut un châtiment disproportionné imposé par une déesse vengeresse. Une peinture forte, haute en couleur, dérangeante peut-être, mais qui se prête volontiers aux délires de votre propre imagination.

Elisabeth Hopkins

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

 Zeugma
Galerie Templon
Du 15 mars au 12 mai 2018
Entrée libre
www.templon.com
 Zeugma : le grand œuvre drolatique
Beaux-arts - Cour vitrée
Du 15 mars au 15 avril 2018
Entrée libre
 Diane et Actéon
Musée chasse et nature
Du 13 mars au 1er juillet 2018
Entrée : 8 €
www.chassenature.org

 

Visuels page expo : Gérard Garouste. Vue de Zeugma, le Grand œuvre drolatique, Cour vitrée des Beaux-Arts. Avec au premier plan Ellipse (2001, acrylique sur toile et structure en fer forgé, 735 x 600 x 600 cm) et au fond, Indiennes (1987, acrylique sur toile, 920 x 820 cm). Photo L’Agora des arts. Détail Ellipse.
Gérard Garouste, Midrash, 2016, huile sur toile, 160,5 x 195 cm. Galerie Templon. Photo l’Agora des arts.
Gérard Garouste, Pinocchio et la partie de dés, 2017. Huile sur toile, 160 x 220 cm. Photo L’Agora des Arts.
Visuel page d’accueil : Gérard Garouste, Le Maître Echanson, 2016.