Gobé, Jérémy - Artiste plasticien

Panser la nature

Est-ce un hasard si ce natif de Cambrai (en 1986), ville qui a construit sa réputation sur la baptiste, cette toile de lin finement tissée, a fait du textile le médium de prédilection de son œuvre ? Une affaire de génétique aussi ? « J’ai appris que ma grand-mère, ancienne couturière, confectionnait des sacs contre de la nourriture pendant la guerre ». Si les mythologiques sœurs Parques filent le sort des humains de leur naissance à leur mort, Jérémy Gobé file toujours pour la vie. Avec le lin, le coton ou la laine, il tricote, panse et emmaillote pour protéger ou faire renaître, qu’il s’agisse de meubles brisés et abandonnés ou de la barrière de corail qui se meurt.

Il y a dans tout tissu une notion de protection. Le traditionnel tricot par sa chaleur et la tendre attention portée à sa réalisation est particulièrement symbolique à cet égard, évoquant aussi ces tricoteuses pour les poilus de 14-18 et ces messages codés dans les tricots. Habillés par l’artiste d’étranges tricots réalisés sur-mesure, une simple table ou un fauteuil chiné chez Emmaüs se transforme en chaleureuse sculpture-textile, retrouvant sa noblesse, une pointe de fantaisie en sus par ses couleurs vives ou acidulées.
Un travail pensé, délicat et plein d’empathie de la part d’un artiste diplômé des Beaux-arts de Nancy et de l’École des Arts Décoratifs de Paris, lauréat du Prix Fondation Bullukian en 2011 pour son projet d’exposition « Monuments au mains », qui a vite trouvé ce qui avait de la valeur pour lui : donner, échanger, rencontrer, transmettre. « Je me lève pour ça ». Ainsi, La liberté guidant la laine, 2014 (clin d’œil à Delacroix), une installation monumentale réalisée en rouge et blanc avec le motif géométrique jacquard très mode des seventies, est chargée d’une autre symbolique pour Gobé. Ce motif, du nom de Joseph Marie Jacquard, créateur du complexe métier à tisser qui l’a confectionné en 1801 à Lyon, rappelle aussi à l’artiste la révolte des canuts, l’une des premières révoltes de la classe ouvrière de l’ère industrielle qui revendiquaient un meilleur salaire et s’inquiétaient de l’émergence de ces nouvelles machines qui allaient leur voler leur travail et leur savoir-faire.

Au fil de ses rencontres, Jérémy Gobé redonne vie à la mémoire d’objets, de gens et de métiers délaissés. Avec des chutes de tissus offertes par des ouvriers licenciés d’une usine textile des Vosges qui fermait, Jérémy Gobé « répare » des meubles cassés et les réinvente. Prison de force vive (2009-2016) est une œuvre tout en plissements, réalisée à quatre mains avec
Simone Pheulpin. Inspiré par cette artiste (née en 1941) dont les sculptures trompe-l’œil en textile imitent des concrétions géologiques, du bois ou un coquillage fossilisé, Jérémy Gobé plisse des bandes de tissu ou des sangles de tapissier, les enroule et les serre, donnant naissance à d’étonnantes formes organiques. Des tissus vivants.

Après avoir prolongé des squelettes d’oursins et de coraux avec du tricot, créant de nouveaux objets hybrides, pleins de charme et de poésie (Corail restauration, 2012-2018), l’artiste s’est lancé un nouveau défi : restaurer la Grande barrière de corail australienne qui à cause du réchauffement climatique perd ses microalgues symbiotiques, blanchit et s’affaiblit. En partenariat avec la Scop Fontanille, producteur de dentelle au Puy en Velay et avec la collaboration de Isabelle Domart-Coulon, chercheuse en biologie marine, Jérémy Gobé imagine d’envelopper les coraux de dentelle fournissant un support compatible avec les cellules de corail, permettant à nouveau aux algues et polypes de se fixer, nourrissant le corail, lui donnant sa couleur, et régénérant la barrière, ce joyau du patrimoine mondial. En attendant une expérimentation in situ du projet Corail/Artefact, les recherches très encourageantes donnent déjà naissance à nombre de sculptures et dessins évoquant le Point d’Esprit, ce modèle de dentelle exacte représentation d’une cellule de corail vue au microscope. Quand l’art, la science et l’industrie s’unissent, la symbiose peut donner naissance à un heureux événement. Une love story à suivre.

Catherine Rigollet (mars-avril 2019)
Reportage photos : Lionel Pagès