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Gustave Doré. L’imaginaire au pouvoir

Gustave Doré (1832-1883) est à lui tout seul une véritable usine à rêves, un si fécond producteur d’imaginaire qu’il laisse pantois. C’est ce qu’on découvre dans la belle et très complète rétrospective que lui offre le musée d’Orsay, du 18 février au 11 mai 2014.

Le plus Illustre des illustrateurs du XIXe siècle, celui à qui l’on doit les fabuleuses illustrations des Fables de la Fontaine, des Contes de Perrault (inoubliable Chat botté !), de l’Enfer de Dante, du Pantagruel et du Gargantua de Rabelais, ne semble avoir eu aucune limite créatrice, dessinant, gravant, peignant, sculptant et même jouant du violon, comme Ingres.
À quinze ans à peine, il entame une carrière de caricaturiste, puis d’illustrateur professionnel et surtout prolixe qui lui vaut très vite une célébrité internationale. « Désolé de n’avoir fait à 33 ans que 100 000 dessins », ironisera Doré, un rien prétentieux, même si l’immense majorité de son œuvre gravé n’est pas de sa main ; ses illustrations sur pierre, métal et bois ayant exigé l’intervention d’un ou plusieurs praticiens. Mais cet autodidacte qui a développé très jeune un ego surdimensionné, encouragé par les flatteries de son entourage sur son immense talent, poursuit un rêve : être reconnu comme un artiste complet et surtout comme un peintre.

Utilisant toutes les techniques, huile, lavis, aquarelle, cet exact contemporain d’Édouard Manet va se lancer dans une intense production picturale, bien loin de la modernité des impressionnistes, mais habité par son imaginaire poétique et lyrique.
Ses portraits de saltimbanques et de bohémiens sont chargés de dramaturgie, tel L’Enfant blessé. Ses tableaux religieux sont tout aussi lourds de pathos. Les paysages de montagnes de ce passionné d’alpinisme sont spectaculaires, offrant des points de vue vertigineux sur des pics et des glaciers, des images à sensation, comme ces alpinistes en train de dévisser dans la Catastrophe du mont Cervin, un très grand dessin à la plume et lavis brun rehaussé d’une gouache blanche couvrant la falaise d’un linceul de neige.
Voyageur, Gustave Doré a séjourné à Londres comme reporter quelques années avant la guerre de 1870, s’intéressant aux extrêmes de la vie sociale de cette première mégalopole capitaliste où se creusent les inégalités sociales, dessinant les bas-fonds et les docks comme les champs de courses. Il s’est rendu en Espagne à plusieurs reprises en vue de l’illustration de Don Quichotte, en profitant pour croquer des guitaristes, des diseuses de bonne aventure, des mendiants de Burgos et des maraîchers de Valence. Comme pour Victor Hugo, 1870 sera pour Gustave Doré « l’Année terrible », celle de la défaite face à la Prusse, du Siège de Paris, mais surtout de la guerre civile qui a suivi. Cet Alsacien, ardent patriote, retrouve une veine réaliste, mêlant souvent le réel au fantastique, pour peindre des batailles, une scène de bombardement de Paris, des habitants fuyant. Renouant avec le romantisme et le symbolisme (qui habitent d’ailleurs nombre de ses paysages, très proches de ceux de Caspar David Friedrich), il va composer L’Énigme, un très étrange tableau tout en camaïeu de gris. On y voit au loin une ville en ruines d’où s’élèvent d’épaisses colonnes de fumée, au premier plan une butte dévastée par les bombardements et jonchée de cadavres, et un ange implorant un sphinx dominateur et muet. Une allégorie de la France vaincue et de l’absurdité de la guerre.

À la fin des années 1870, asthmatique, Doré commence à ressentir les premières atteintes de l’angine de poitrine qui l’emportera en 1883 et qu’il soulage avec l’air des montagnes suisses…et de l’opium. Mais toujours doué d’une belle énergie, il se met à la sculpture, sans formation. Si ses allégories sculptées ne manquent évidemment pas de virtuosité, elles laissent souvent de bronze par leur excès de théâtralité, mise à part la facétieuse Joyeuseté (dit aussi À saute-mouton) dans laquelle le sabre saute le goupillon. Relayée par le cinéma, la bande-dessinée et les rééditions régulières des ouvrages qu’il a illustrés, l’œuvre de Gustave Doré occupe une place cruciale dans l’imaginaire contemporain. On ne peut que recommander cette rare exposition, la première rétrospective de l’œuvre de Doré depuis trente ans, qui a bénéficié de prêts exceptionnels, tant de collections privées que publiques.

Catherine Rigollet

Visuels page expo : Gustave Doré, Lac en Écosse. Après l’orage, 1875-78. Huile sur toile, 90 x 130 cm. Musée de Grenoble. ©Musée de Grenoble.
« Au secours ! Au secours ! Voilà M. le marquis de Carabas qui se noie », frontispice pour Le Maître Chat ou Le Chat botté, publié dans Charles Perrault, Contes, illustré par Gustave Doré, gravé par Adolphe François Pannemaker (1822-1900), Paris, Hetzel, 1862, in-fol. 43x31x4,5 cm. Paris BnF, réserve des Livres rares. ©BnF.

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Gustave Doré (1832-1883). L’imaginaire au pouvoir
Du 18 février au 11 mai 2014
Musée d’Orsay - 75007 Paris
Tous les jours, sauf lundi, de 9h30 à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
Plein tarif 11€
Tél. 01 40 49 48 14
www.musee-orsay.fr

 


 À lire : « Gustave Doré. L’imaginaire au pouvoir ».
Ce très beau catalogue rédigé sous la direction de Philippe Kaenel (commissaire scientifique de l’exposition Gustave Doré) et abondamment illustré, constitue un livre de référence sur l’œuvre de Doré. Une coédition Musée d’Orsay/Flammarion. 336 pages – 250 ill. 45€. Rubrique Livres d’art >