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Hélène Delprat et Inextricabilia à la maison rouge

Deux expositions se partagent la Maison Rouge, l’une monographie d’artiste et l’autre rapprochant artistes, civilisations et époques autour d’un même thème. Deux expositions qui, à coup sûr, partageront les visiteurs.

Hélène Delprat : I Did it My Way

Que vous la connaissiez peu ou prou, Hélène Delprat (née en 1957) vous saute à la figure plusieurs fois au cours de l’exposition. Avec son portrait hyper-réaliste, à la Duane Hanson, qui vous accueille à l’entrée ; avec une vidéo où elle se rase la tête interminablement, au son de Comme un garçon, je porte les cheveux longs… ; transformée en Louis XIV de pacotille dans une autre vidéo, ou encore, comme pour vous dire au revoir, photographiée, méditative, dans un jardin. C’est donc elle, elle trop peut-être, qui ponctue la découverte d’une œuvre imaginative, belle ou laide, c’est selon, faite de vidéos, d’installations, de dessins, de sculptures (L’œuvre sculpté de Bouvard et Pécuchet, 2017), et même de son blog tiré de son ordinateur pour se dérouler comme un panneau publicitaire. Elle y exploite sa mémoire, son imagination, sa culture, ses passions, l’inconnu, tout ce qu’elle sait ou ne sait pas ou croit savoir. Tout ce qu’elle ressent, ou ne ressent pas, ou croit ressentir. Mais ce sont les peintures qui finalement retiennent, peintures récentes (depuis sa rencontre avec la Galerie Christophe Gaillard) et plutôt monumentales, technique qu’elle avait pourtant mise sous le boisseau pour une vingtaine d’années après son passage à la Villa Médicis dans les années 80 et la fin de sa relation avec la Galerie Maeght. Des peintures dont les titres sont à eux seuls tout un roman : Ce que le chevalier couvert de cendres a raconté à son retour, (2015), Peinture ayant été détruite par Goering en 1937 et reconstituée en 2016, (2016) ou encore Ils descendirent dans une auberge du Quartier Saint-Gervais, où ils eurent à leur souper des assiettes peintes qui racontaient l’histoire de … (2015). Qu’en dire, sinon qu’elles fascinent par leur taille, leur beauté, leur foisonnement ? Comment les regarder, sinon en se laissant happer par ce qui s’étale sur fonds noir : des couleurs à la Redon ou à la Klimt s’étalant comme des surfaces lépreuses, des personnages homériques portant un bouclier sur lequel viendront s’écraser les balles des “kalach” voisines, des fleurs, des algues, des insectes, des têtes de mort, des chaines, des têtes tout droit sorties d’un cahier d’enfant, des voies lactées explosives. Comment les interpréter ? Faut-il d’ailleurs les interpréter ? À vous de trouver la réponse.

Inextricabilia, enchevêtrements magiques

Après cette exposition multiforme et franchement déroutante, on est heureux de s’accrocher au fil conducteur, pardonnez le jeu de mots, d’ Inextricabilia. Les œuvres d’une cinquantaine d’artistes jouent avec les textiles, les fils, les « empaquètements », les enchevêtrements, les broderies, les trames, tout en se rejoignant dans leur symbolique, leur rôle de sacralisation du quotidien, leur mythologie. Se côtoient des œuvres d’artistes Art Brut comme Manto de Apresentaçao, cape brodée par Bispo de Rosário pour le jour où il montera au ciel ; ou les objets banals occultés par leur habillage de ficelles, cordes, et autres fils de Judith Scott, dont le plus émouvant est deux objets unis dans une embrassade de ficelles, comme Judith, sourde, muette et trisomique, étreignant après des dizaines d’années la sœur jumelle dont elle fut séparée enfant (Sans titre, 1966). Ou encore des objets africains à fonction talismaniques, des amulettes, de petits emballages de reliques chrétiennes, tous dotés de fonctions protectrices, thérapeutiques, conjuratoires. Des reliquaires raffinés, enveloppant les fragments d’ossements de saints sous une profusion de fils métalliques, de pierreries, de tissus, produits dans les couvents des siècles passés pour inciter à la ferveur populaire, côtoient des œuvres des 20e et 21e siècles, telles l’aérienne Arch of hysteria (2000) de Louise Bourgeois, fait de tissus raboutés ; le cocon lumineux suspendu de Chen Zhen près des cocons arachnéens de Heide de Bruyne, ou la machine à coudre empaquetée de Man Ray. Il faut absolument voir la vidéo consacrée au travail de Michel Nedjar. Ses poupées, petits ballots presque informes, terreux, ensanglantés, alignés sur la cimaise blanche, lui sont venues après avoir vu le film Nuit et Brouillard. Un hommage aux membres exterminés de sa famille, qui serre le cœur.
Décidément, l’Art Brut -il y en a beaucoup ici- recèle énormément d’émotion et bien du bonheur. Souhaitons que sa diffusion dans les musées ne fasse pas perdre son authenticité à cet art fait pour son créateur seul puis, par force, – mais est-ce ce qu’il désire ? – pour le public qui se devra de le regarder sans le déflorer. La maison rouge est sur la dernière longueur (elle doit fermer en octobre 2018), et ce genre d’exposition bien à elle la fera amèrement regretter.

Elisabeth Hopkins

Catalogue H. Delprat : 160 p, 16,5 x 22,3 cm, français/anglais, 2017 – Co-édition La maison rouge et les Editions Fage. 20 €.
Catalogue Inextricabilia, 200 pages, 120 illustrations, 22 x 28 cm, français. Co-édition Flammarion et La maison rouge. 35€.

 

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 23 juin au 17 septembre 2017
La maison rouge – Fondation Antoine de Galbert
10, boulevard de la Bastille
75012 Paris
Ouvert du mercredi au dimanche, de 11h à 19h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Entrée : 10€
www.lamaisonrouge.org

 

 Visuels : Hélène Delprat, Ils descendirent dans une auberge du quartier Saint-Gervais, où ils eurent à leur souper des assiettes peintes qui représentaient l’histoire de… , 2015, acrylique et pigments sur toile, 240 x 262 cm. Photo Benoit Fougeirol. Judith Scott, sans titre, laine et objets de récupération, 1986. Courtesy Collection Joyce Scott (Alta, Etats-Unis). Exposition Inextricabilia, enchevêtrements magiques.