Du négoce en vins à la peinture, telle est la surprenante trajectoire de Jean Dubuffet (1901-1985). Après avoir plusieurs fois tergiversé, abandonnant puis reprenant son commerce de vins, Jean Dubuffet le met en gérance en 1941 et décide de se consacrer définitivement à la peinture. Il a 41 ans. En juillet 1944, un voisin lui prête une presse et l’initie aux techniques de la pierre lithographique. C’est une révélation. À la suite de quelques essais (Jojo est reparti, Mangeuse), il est invité par le lithographe Fernand Mourlot à travailler dans ses ateliers. Dubuffet se passionne et réalise de nombreuses planches que Mourlot lui propose alors de rassembler dans un album pour lequel Francis Ponge écrit un texte intitulé Matière et mémoire ou les lithographes à l’école. « L’estampe a passionné Jean Dubuffet pendant 40 ans et elle sera liée à son œuvre créatrice de façon indissociable », confirme Sophie Webel, directrice de la Fondation Dubuffet et commissaire de cette exposition réalisée avec le concours de la Fondation Dubuffet à Paris.
Tout au long de sa vie, celui qui rêvait de recommencer la peinture à zéro n’aura de cesse d’explorer des techniques, inventant des moyens nouveaux afin de mieux servir ses besoins. Dans le même temps, il découvre l’Art brut, le collectionne, le défend, le théorise et s’en inspire, tentant de créer en suivant ses propres impulsions, hors de tout savoir-faire et normes esthétiques convenues.
En octobre 1953, Dubuffet entreprend ses premiers assemblages d’empreintes à l’encre de Chine : empreintes végétales ou de « mille autres choses » faites par estampages, qu’il découpe, assemble et colle sur une feuille de papier. Mais les raccords de collages ne lui conviennent pas et il trouve une solution à son insatisfaction en répandant sur le papier report le liquide gras utilisé en lithographie. Cette nouvelle découverte donne lieu à une vingtaine de lithographies comme Les défricheurs et Végétation. L’expérience des assemblages d’empreintes à l’encre de Chine s’étend aux tableaux d’assemblages. « J’envisageais de faire sur des toiles toutes sortes d’expériences de textures diverses, taches, maculations, etc..., dans lesquelles je pourrais ensuite découper les parties qui me plaisaient et les assembler à ma guise », déclare ce créateur prolifique. Entre 1962 et 1963, il réalise une série de livres illustrés, dont l’un donnera son titre à la plus connue des périodes de l’artiste qui durera plus de douze ans : L’Hourloupe (1962- 1974). Avec cette nouvelle ère, les moyens changent, la lithographie est abandonnée au profit de la sérigraphie, plus adaptée aux aplats de couleurs et aux formes cernées des œuvres. Il se remettra à la lithographie à la fin de sa vie, après presque vingt ans d’abandon.
Catherine Rigollet