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Ker-Xavier Roussel. Jardin privé, jardin rêvé... à Giverny

Nabi bucolique à ses débuts, peignant essentiellement des femmes de sa famille, notamment Marie, la sœur de son ami Vuillard, qui deviendra sa femme, Ker-Xavier Roussel va trouver son style dans des grandes scènes mythologiques. Au tournant des années 1896-1897, en décalage avec l’esthétique de son temps, il se met à composer des paysages verdoyants puis méditerranéens inspirés de ses rêves hédonistes. De vastes panoramas décoratifs peuplés de nymphes croquant des pommes d’or, de satyres musiciens, de faunes dansant au tambourin, et de danseurs célébrant Bacchus, tout droit sortis de ses lectures d’auteurs grecs et latins qu’il lit dans le texte. Des peintures à la colle sur toile ou des pastels, ses deux techniques de prédilection, aussi fragiles l’une que l’autre. On appréciera d’autant plus le prêt par le MUDO de Beauvais de l’exceptionnelle œuvre L’Après-Midi d’un faune (vers 1930), récemment restaurée. Cette grande peinture à la colle sur toile (200 x 320 cm) aux couleurs presque fauves se regarde comme une intrigue en deux actes inspirée de la mythologie grecque, avec sur la gauche de la scène cette nymphe à la chevelure blonde se baignant dans un petit ruisseau bordé d’iris d’eau, de joncs et de bosquets verdoyants et, à droite de la scène, ce faune lancé à la poursuite de cette même (ou autre) nymphe sortie de l’eau et s’enfuyant nue, ayant abandonné sa longue écharpe rouge dont le satyre s’est emparé…Une toile brûlante de désir.

Ce retour aux mythes fondateurs va occuper toute son inspiration, jusqu’à la fin de sa vie. Sans changer d’archétypes, Roussel modifiera toutefois ses décors méditerranéens pour la campagne d’Étang-la-Ville, où il s’est établi avec sa famille, tout en poursuivant ses nombreux voyages, toujours en quête de rêves hédonistes. Dans La Fontaine de Jouvence (vers 1925-1926), il se représente même buvant l’eau magique pour continuer de séduire sa jeune maîtresse. Une soif de jeunesse et d’immortalité qui le poursuivra jusqu’à son chant du cygne, une nouvelle Fontaine de Jouvence peinte en 1944, œuvre surprenante, si proche de l’abstraction qu’on pourrait imaginer que cette explosion de couleurs et de lumière est une peinture inachevée. Il n’en est rien. Elle tranche d’autant plus avec une petite série d’œuvres au noir, plutôt méconnue. L’autre versant de Roussel. Ce grand atrabilaire, capable de détruite ses toiles (que parvenait parfois à sauver son marchand Vollard) ou de cesser totalement de peindre, a aussi produit lors de ses épisodes dépressifs nombre d’encres d’une grande intensité, dans une écriture déliée par le désespoir

Pour le commissaire de l’exposition, Mathias Chivot, historien de l’art et auteur du catalogue raisonné de l’artiste, Ker-Xavier Roussel est avant tout un grand décorateur à la palette flamboyante et un artiste prêchant le retour à l’état de nature. Une nature dans laquelle l’homme est maître du jeu, déployant toutes « les gammes de son érotisme envisagé comme un rapport de force, jusqu’au rapt ». Et « le délice que suscite le spectacle des corps est bien le sujet réel des peintures de Roussel, sous le prétexte mythologique ». Mathias Chivot considère aussi que la peinture de Roussel, par son refus de représenter la modernité, par sa suggestion constante d’un paradis perdu, est un manifeste pictural d’un anarchisme idéalisé et romantique, influencé par les idées vitalistes de Nietzche que Roussel, germanophile, a lu très tôt. Une interprétation toutefois, car les rares écrits de Roussel ne livrent rien sur ses partis pris esthétiques et ses convictions politiques.

Une exposition qui est aussi un hymne à la nature et au jardin, celui de Ker-Xavier Roussel à l’Étang-la-Ville, qu’il n’a cessé de transformer et d’embellir, mais aussi le jardin rêvé ou idéalisé. Fort à propos à Giverny.

Catherine Rigollet

Visuels : Ker-Xavier Roussel, La Terrasse, 1893. Huile sur toile, 36 x 75 cm. Paris, musée d’Orsay.
Eurydice mordue par un serpent, vers 1913. Huile sur toile, 113 x 161 cm. Collection particulière.
Petit centaure galopant dans la montagne, s.d. Lithographie en noir et blanc, 19 x 14,5 cm. Collection particulière.
L’Après-midi d’un faune, vers 1930. Peinture à la colle sur toile, 200 x 320 cm. Beauvais, MUDO – musée de l’Oise.
Fontaine de Jouvence, 1944. Huile sur toile, 81,5 x 115 cm. Musée de La Jacannette (L’Etang-la-Ville, 78). Photos L’Agora des Arts, 26 juillet 2019)

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 27 juillet au 11 novembre 2019
Musée des Impressionnismes
99, rue Claude Monet 27620 Giverny
Ouvert tous les jours, de 10h à 18h
Tarif plein : 7,50 €
www.mdig.fr


Prolongez votre visite au musée de Vernon, à 5 km, avec l’exposition Édouard Vuillard & Ker-Xavier Roussel – Portraits de famille. Une introduction dans l’intimité de ces deux artistes amis et beaux-frères, au travers de 43 œuvres graphiques et peintures, des portraits pour l’essentiel, complétées par une trentaine de photographies originales de Vuillard. Créé en 1862, le très joli musée de Vernon possède un fonds d’art animalier et surtout une collection de peintures des Nabis, notamment des œuvres de Bonnard qui vécut au hameau de Vernonnet, entre 1912 et 1938. Du 5 juillet au 3 novembre 2019. Tous les jours, de 10h à 18h. Plein tarif : 4,50 €. www.vernon27.fr