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Trésors de Banlieues

Quelle drôle d’idée d’accoler « trésors » à « banlieues » ! Quels seraient donc ces trésors qui surgiraient brusquement de territoires dont l’histoire est, au mieux, méconnue, au pire, méprisée ? Ne nous y trompons pas, ces trésors n’étaient pas enfouis depuis des millénaires, vestiges d’une antique civilisation qui aurait laissé ses traces d’Allones (banlieue du Mans) à Vitry-sur-Seine…
On verra plutôt dans le mot « trésor » deux de ses acceptions consignées dans Le Nouveau Petit Robert : « Trésors artistiques : ensemble, collection d’œuvres particulièrement précieuses » ou « Accumulation d’œuvres humaines considérées comme une richesse pour les générations futures ».

Nous approchons du sens de cette audacieuse et inédite exposition montée à l’initiative de l’association L’Académie des Banlieues (*) et de la ville de Gennevilliers. Les trésors rassemblés dans la Halle des Grésillons ont été sortis de l’anonymat des musées et galeries, fonds d’art et hôtels de ville, voire des réserves, de cinquante-trois collectivités, villes et départements, dont quarante-cinq franciliennes et huit provinciales. Donc des œuvres rarement montrées. Hormis quelques peintures d’église, dont la plus ancienne remonte au XVIIe siècle, les 270 œuvres sélectionnées offrent « une plongée dans l’histoire de l’art, du naturalisme de la fin du XIXe siècle aux vocabulaires contemporains », tel que l’explicite le sous-titre de l’exposition.

En raison de la grande diversité de leurs formes (peintures, dessins, gravures, sculptures, vidéos, photos, bijoux, marionnettes, objets…) et de leurs sujets, le commissaire général a réparti les œuvres en sept thématiques (**) afin de mieux se repérer dans cette abondance qui aurait pu tourner au fatras. Mais ce qui surprend le plus le visiteur, c’est sans aucun doute la scénographie puisque la plupart des œuvres sont accrochées dans des conteneurs rouges en acier, à la fois garants de la conservation et de la protection des œuvres et emblèmes de l’activité économique de Gennevilliers, premier port fluvial français. On peut même entrer dans certains d’entre eux, salles intimes au cœur des 3000 m2 de la Halle des Grésillons. Cet édifice de Claude Vasconi de 1984 a servi un temps de marché couvert et connaîtra bientôt une réhabilitation par l’architecte Patrick Bouchain.

La taille de l’espace d’exposition a permis, hors des conteneurs, l’accrochage de pièces monumentales qui sortent rarement des lieux où elles sont conservées. On pense à l’impressionnant Hommage à Angela Davis et aux frères de Soledad (97 x 820 cm) de Kijno (1921-2012), qui décore ordinairement la salle du Conseil municipal de Gennevilliers, à Le Triomphe de la paix (450 x 1330 cm) de Somville (1923-2014), carton de la tapisserie offerte au siège parisien de l’OTAN en 1965 et conservé à la mairie de Tervuren (Belgique), à la fresque céramique La Jeunesse du monde (300 x 946 cm) de Hervé Di Rosa et Tania D’Asti provenant d’une collection privé, ou encore à Espagne 39 de Mentor (1919-2003) en dépôt au musée Goya de Castres…
Deux œuvres pourraient symboliser l’originalité et la puissance évocatrice de cette exposition qui rend justice autant à l’incroyable diversité des œuvres créées ou acquises dans les villes de banlieue qu’à leur engagement artistique depuis des décennies : la tapisserie de Fernand Léger (1881-1955) Liberté, j’écris ton nom d’après le poème de Paul Éluard et Les Hétérodoxes d’Orlando Pelayo (1920-1990).

« Trésors de Banlieues » est libre, foisonnante, dérangeante et… gratuite. Aucune excuse de ne pas franchir le périphérique !

Jean-Michel Masqué

(*) Regroupement de collectivités qui refusent « la stigmatisation médiatique dont elles-mêmes et leurs habitants sont parfois victimes » et luttent « contre les discriminations territoriales ». www.academie-des-banlieues.fr
(**) : Témoigner de son temps par tous les moyens de l’art, Brutalité des mutations démographiques : paysages ruraux, paysages urbains, Un art décoratif pour les mairies : tapisseries, peintures, sculptures, Ce que nous disent les rues et les murs des banlieues, Guerres et révolutions : résonances en banlieues, Expressions plurielles en banlieues, L’art sacré aux yeux de tous.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 4 octobre au 30 novembre 2019
Halle des Grésillons
41, avenue des Grésillons, 92 - Gennevilliers
Métro Gabriel-Péri (ligne 13)
Ouvert du mardi au vendredi de 9h à 19h, le samedi et le dimanche de 9h à 18h, tous les jours pendant les vacances de la Toussaint.
Visite guidée (individuels et familles) le week-end à 15h et 17h.
Entrée libre.
www.tresorsdebanlieues.com


Visuels :

 Edouard Cortes, Marché de Lagny en 1930, détail (Lagny-sur-Marne)

 Jean Amblard, Avenue de la Libération (Gennevilliers)

 Boris Taslitsky, Les Délégués, 1948 (La Courneuve) Paris, 2019

 Ernest-Pignon-Ernest, Rimbaud, 1978 (Montrouge)

 Georges Rousse, Gennevilliers, ancienne quincaillerie rue Félicie, 1994

 Vue générale avec au fond Hommage à Angela Davis et aux frères de Soledad (97 x 820 cm) de Ladislas Kijno (Gennevilliers).