Revoir Chagall est toujours un régal. Cette belle exposition nous l’offre avec pas moins de 220 œuvres, issues en grande partie des collections de la famille de l’artiste et du Centre Pompidou. L’idée de départ était de mettre en lumière la question du volume chez Marc Chagall, notamment au travers de ses céramiques, sculptures et contributions aux arts de la scène (costumes et décor du ballet Aleko et de l’Oiseau de feu). De montrer aussi qu’à l’instar de nombreuses grandes figures de la modernité, Chagall, type même du peintre d’à-plats avait été séduit par la troisième dimension. La sculpture intervient toutefois tardivement dans son œuvre, pas avant la fin des années quarante, à son retour de l’exil aux États-Unis, même si, dès les années 1909, quelques indices sont précurseurs, fait remarquer Bruno Gaudichon, directeur de La Piscine et commissaire de l’exposition. Ainsi ce grand tableau Double portrait au verre de vin (1917-1918) où Chagall s’est représenté monté à califourchon sur les épaules de Bella, sa première femme, construisant son tableau de manière architecturale, comme un totem ou un chapiteau. Si la question du volume a interrogé Chagall de ses premiers travaux jusqu’à ses ultimes réalisations, comme le montrent les œuvres exposées au fil du parcours, son œuvre en volume reste très associé à sa peinture. Il est une réinterprétation de l’œuvre peint, une mise en relief porteuse des mêmes thématiques que les toiles, sans en avoir toutefois la même exubérance, le même onirisme. Ce monde rêvé lui colle à la peau depuis l’enfance. Chagall, né au sein d’une famille juive, en 1887, à Vitebsk « ville triste et joyeuse » écrira-t-il dans Ma vie, a quitté la Russie, mais celle-ci ne l’a jamais quitté. A Paris où il arrive en 1911 et se lie avec Blaise Cendrars, aux États-Unis où il s’exile de 1941 à 1948 et jusqu’à sa mort le 28 mars 1985, à 98 ans, dans sa maison de Saint-Paul de Vence, sa peinture restera empreinte du monde traditionnel du Shtetl, de l’univers judéo-chrétien, porteuse d’une iconographie populaire russe à laquelle il a ajouté la sienne : poétique, musicale, animée d’un bestiaire à la fois naïf et fantastique constitué notamment d’animaux hybrides, mi chèvre-mi poule, mi poisson-mi âne. Une peinture hors la loi naturelle de l’attraction universelle, proche du surnaturelle avec ces personnages tête à l’envers, ces violonistes volants, ces pendules ailées, ce candélabre à deux jambes et qui a incité les Surréalistes à proposer à Chagall de les rejoindre. Mais il a décliné l’offre par manque d’affinités. Cette exposition révèle deux autres facettes peu connues de Chagall : ses collages, dont L’Envolée de la mariée à la dentelle (1970) est l’un des plus beaux exemples et son œuvre en noir et blanc, exceptionnel par sa capacité à exister seul. Génie de la couleur, le peintre a su composer de grands dessins dans lesquels le noir est devenu couleur, un noir aussi puissant et expressif que son habituel tourbillon lyrique de bleu, vert, jaune et rouge pour traduire les trois obsessions qui régissent son œuvre : le judaïsme, la Russie et l’amour.
Catherine Rigollet
Visuel page expo : Marc Chagall, La Bastille, 1953, huile sur toile, 81 x 100 cm.
© Archives Marc et Ida Chagall. © ADAGP, Paris 2012
Visuel page d’accueil : Marc Chagall, Double portrait au verre de vin, 1917 – 1918, Huile sur toile, 235 x 137 cm, Don de l’artiste 1949.
Photo : © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN / Adam Rzepka. © ADAGP, Paris 2012