À 78 ans, Martial Raysse peintre, cinéaste et poète reste peu connu du grand public. Une rétrospective au Centre Pompidou à Paris permet de saisir la diversité de la carrière de cet artiste parfois déroutant, passé du Pop Art joyeux des années soixante à de grandes fresques carnavalesques et pamphlétaires.
Même si Martial Raysse n’aime parler –comme tout artiste- que de ses œuvres récentes, il est surtout célèbre pour les œuvres iconiques de sa période Pop Art : joyeuses, colorées, imaginatives, innovantes et ludiques, intégrant des collages, des objets manufacturés issus de la société de consommation, des néons et même des films utilisés comme instruments de subversion dans leur usage à contre-emploi. Ainsi dans Suzanna, Suzanna (1964), reprise de Suzanne et les vieillards de Tintoret, la baigneuse est guettée par un vieillard animé qui n’est autre que l’artiste Arman, mis en scène dans un film projeté sur la toile. Le corps féminin est une thématique récurrente de ces années vitaminées durant lesquelles Martial Raysse boute l’art abstrait jugé sclérosé et triste, opte pour le figuratif, pratique le détournement de chefs d’œuvre de la peinture classique et adhère au mouvement des Nouveaux Réalistes avec Ben, Arman et Klein. « La tristesse humaine était à la mode et Buffet du dernier chic avec ses figures tragiques et ses cernes sous les yeux. Je voulais exalter le monde moderne, l’optimisme et le soleil. Peindre la tristesse ne peut être que le jeu snob d’une inconscience maladive ! La mort est bien assez affreuse, suffisamment inquiétante », déclare l’artiste, qui se sent avant tout poète et assure même avec une certaine prétention « être plutôt bon ».
Mais au début des années 1980, à 44 ans, il bouleverse sa pratique artistique, confectionnant des assemblages précaires faits de matériaux simples et dérisoires, dessinant des sujets mythologiques, puis brossant d’immenses « fresques » colorées proposant des visions allégoriques de l’humanité, au caractère souvent caricatural, comme Le Carnaval à Périgueux (1992) ou cette récente Ici Plage, comme ici bas (2012), un théâtre du monde d’aujourd’hui qui peut se lire comme une méditation sur l’humanité, décrite dans ses séductions comme dans ses violences. Sa cote qui avait un peu fléchi s’offre à nouveau des sommets, surtout pour ses œuvres des années Pop, grâce au soutien de collectionneurs comme François Pinault, grand amateur également de ses productions récentes. Le portrait L’Année dernière à Capri (1962) a été adjugé 4,8 millions d’euros chez Christie’s en février 2011, et Quinze août (1964) s’est vendu 1,7 million d’euros en décembre 2013, toujours chez Christie’s. Rassemblant plus de 200 œuvres - peintures, sculptures, films, photographies et dessins -, cette belle rétrospective conçue par Catherine Grenier propose une grande traversée de cinquante ans de création, des années soixante -période de loin la plus créative et excitante- à aujourd’hui.
Catherine Rigollet