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Modigliani : rétrospective à la Tate Modern

À Livourne, sa famille juive séfarade l’avait pourtant initié à l’art et à la littérature, mais Amedeo Modigliani (1884-1920), à vingt ans, voulait pimenter sa vie, et ce ne pourrait être qu’à Paris. L’y voici, enivré par la découverte de Cézanne, Van Dongen, vivant à Montmartre, non loin de Picasso, puis à Montparnasse, près de Brancusi, butinant à La Ruche avec Soutine. L’accrochage chronologique et thématique d’une centaine de ses œuvres permet de naviguer au fil des portraits, des sculptures (une douzaine de têtes mais un medium qu’il abandonna rapidement, pour des raisons de santé et/ou de coûts), des dessins, des nus et des images de Jeanne Hébuterne, mère de sa fille, qui se suicidera, enceinte de lui, quelques jours après sa mort de tuberculose. (Mentionnons aussi un petit paysage sans intérêt égaré là on ne sait pourquoi). Les commissaires soulignent que ce sont moins le Don Juan, le drogué ou l’alcoolique qui doivent intéresser ici, mais le peintre, électron libre, qui révolutionna sinon le portrait du moins le nu.

Au fil des salles, le style du portraitiste se précise. Dès son Autoportrait en Pierrot, 1915, on le voit se dessiner : cou allongé, fine arête nasale, un œil ouvert et un œil fermé (ouvert sur le monde, fermé sur le moi intime, expliquait-il). Les temps sont durs, les toiles et les couleurs onéreuses, d’où l’utilisation en 1909 des deux côtés de la toile pour un violoncelliste d’un côté et le portrait de Brancusi de l’autre, tous deux très cézanniens. Dès 1914, Paul Guillaume devient son galeriste, Modigliani peint ses amis, Diego Rivera, Guillaume lui-même, Beatrice Hastings, portraits mélancoliques sans l’ombre d’un sourire sur les lèvres minuscules, les yeux souvent vides, voir même “grillagés”. Il ne rencontre qu’un faible succès jusqu’en 1916 où son chemin croise celui de Léopold Zborowski qui lui fournit un per diem qui lui permet de payer les modèles pour les nus auxquels il revient. Destinés à des acheteurs masculins, ces nus audacieux pour l’époque et controversés furent exposés à la galerie de Berthe Weill (la seule exposition en solo de Modigliani de son vivant), jusqu’à une descente de police demandant le retrait des toiles. Nus féminins assis, allongés, déhanchés, chairs rondes en camaïeux d’ocre ponctuées par le triangle noir du pubis, images désérotisées par l’impassibilité des visages, et pourtant bien séduisantes. De santé fragile, Modigliani descend à Nice en 1918, il y retrouve Jeanne rencontrée lorsqu’elle avait 19 ans. Il la peignit plus de 20 fois reflétant le passage de la jeune fille à la jeune femme enceinte prenant de l’assurance. Jeanne y semble résignée, tenue à distance… imagine-t-elle alors la brièveté de leur liaison, leurs morts rapprochées ?

Rien ne ressemble plus à un Modigliani qu’un autre Modigliani, l’artiste a trouvé son langage et il s’y tient, dans les lignes, les poses, la palette, et pourtant chaque toile est une plaisante surprise. S’il n’eut pas grand succès de son temps, les collectionneurs du 21e siècle ne s’y trompent pas, qui, même depuis la Chine, paient des prix record pour ses toiles ou ses sculptures.
À la fin de l’exposition, il est proposé de voir le studio du peintre en réalité virtuelle, le nouveau gadget des commissaires d’exposition. Ne l’ayant pas vu, on ne portera aucun jugement.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Amedeo Modigliani 1884 – 1920, Jeanne Hébuterne, 1919. Medium Oil paint on canvas.914 x 730 mm. The Metropolitan Museum of Art, New York. Amedeo Modigliani in his studio, photograph by Paul Guillaume, c.1915 ©RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie) I Archives Alain Bouret, image Dominique Couto.

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 23 novembre 2017 au 2 avril 2018
Tate Modern
Bankside, London SE1 9TG
Ouvert du Dimanche au Jeudi, de 10h à 18h
Les vendredis et samedis de 10h à 22h
Fermé les 24, 25 et 26 décembre 2017
Entrée :19.50 livres
www.tate.org.uk/modern