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Monet. Lumière, ombre et réflexion

Marchand d’art, collectionneur suisse et fondateur de la célèbre foire d’Art Basel, Ernst Beyeler (1921-2010) avait du nez pour acheter des tableaux (notamment des Monet de la dernière période, celle des Nymphéas quand elle était encore négligée par le marché), et le goût des arbres et des fleurs, là encore comme Monet (1840-1926). Dédier à ce dernier une exposition monographique à l’occasion des vingt ans de la fondation Beyeler a donc doublement du sens.

L’élégant et lumineux bâtiment dessiné par Renzo Piano accueille soixante-deux toiles du maître de Giverny provenant des plus grands musées du monde et de collections particulières ; des œuvres pour certaines rarement montrées. La sélection commence en 1880, période qui marque le début de l’éloignement de Monet de l’impressionnisme. Cette année 1880 constitue un véritable tournant dans la vie de Monet. Après la mort de sa femme Camille, c’est le début d’un avenir commun avec Alice Hoschedé, le grand amour de sa vie, c’est aussi l’année de sa première exposition personnelle, le début de la reconnaissance et la fin de ses soucis financiers.

L’exposition ouvre avec une toile emblématique, La Meule au soleil (1891), qui fut une véritable révélation pour Kandinsky. Ce pionnier de l’abstraction n’y vit qu’une ombre, une forme non figurative (en apparence). Au fil des sujets que Monet aborde, toujours de manière sérielle (meules, peupliers au bord de l’Epte, prairies à Giverny, débâcle sur la Seine, falaises en Normandie, paysages méditerranéens, brouillard à Londres, nymphéas...), c’est le traitement constamment renouvelé de la lumière, des ombres et de la touche de peinture qui l’intéresse. Comparer les œuvres des années 1880 avec celles de 1890 met en évidence que ce n’est plus la représentation du motif qui motive Monet, mais la peinture en elle-même. Les contours s’estompent, l’image se dilue dans la couleur, l’horizon disparait progressivement, même la réalité s’éloigne au profit de son reflet.

Le motif tout entier n’entre même plus dans le cadre. C’est le cas de La Meule au soleil et de La Cathédrale de Rouen, le portail, effet du matin (1894) ; Monet la peint de si près qu’on ne la reconnait plus et qu’il faut s’éloigner du tableau, le regarder à cinq ou six mètres de distance pour identifier la forme émergeant d’une condensation de couleurs différentes et distinguer quelques éléments architecturaux. Il en va de même pour la grande arche de la Manneporte à Étretat. Pour l’anecdote, Monet s’est tellement approché de ce morceau de falaise pour peindre son incroyable Vagues à la Manneporte (vers 1885) qu’il s’est laissé surprendre par la marée montante et s’est trouvé projeté par une vague contre la falaise, furieux d’avoir perdu les toiles déjà peintes.

Peindre à la fin de sa vie son jardin d’eau à Giverny sera un exercice moins périlleux, physiquement s’entend. Car on imagine volontiers le bouillonnement cérébral qui devait envahir le peintre luttant inlassablement avec les jeux de reflets dans les bassins pour en saisir toute l’intensité et la richesse chromatique. Déjà, lorsqu’il s’attaquait au contre-jour il avouait : « Je poursuis un rêve. Je veux l’impossible ». De 1895 jusqu’au début des années 1920, Monet, malgré une double cataracte de plus en plus invalidante, peindra plusieurs dizaines de toiles sur ce thème des nymphéas, comme ce superbe triptyque Le Bassin aux nymphéas (1916-19), sur lequel se referme l’exposition à la fondation Beyeler.

Catherine Rigollet

 On ne manquera pas au détour d’une salle le court métrage sur Monet, tourné en 1915 par Sacha Guitry à Giverny ( « Ceux de chez nous »). Le peintre y pose tout de blanc vêtu (!), fait semblant de peindre face à la caméra (on le voit demander à Guitry si ça va) et fume cigarette sur cigarette. Un document rare et émouvant.

 Le catalogue (180 p. 130 ill.) n’est disponible qu’en allemand et en anglais, mais il est possible de se procurer un tiré à part en français.

Visuels : Claude Monet, En Norvégienne, 1887. Huile sur toile, 97,5 x 130,5 cm. Musée d’Orsay, Paris. Legs de Princesse Edmond de Polignac, 1947. Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.
Claude Monet, Matinée sur la Seine, 1897. Huile sur toile, 88,9 x 92,7 cm. The Art Institute of Chicago, Mr and Mrs Martin A. Ryerson Collection, 1933. Photo ©The Art Institute of Chicago / Art Resource, NY / Scala, Florence.
Claude Monet, Nymphéas, 1916-1919. Huile sur toile, 200 x 180 cm. Fondation Beyeler, Riehen/Basel, collection Beyeler. Photo Robert Bayer.
Portrait de Claude Monet, par Theodore Robinson vers 1888-90. En affiche à l’entrée de l’exposition (photo L’Agora des Arts, 24-01-2017).

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 22 janvier au 28 mai 2017
Fondation Beyeler
Baselstrasse 77, Riehen (Suisse)
Tous les jours, de 10h à 18h
Nocturne le mercredi jusqu’à 20h
Tarif plein : 10 CHF
Entrée gratuite pour les moins de 25 ans à l’occasion du 20e anniversaire
www.fondationbeyeler.ch