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Paula Modersohn-Becker, L’intensité d’un regard

« Hélas, toi qui fus loin de toute gloire. Toi qui fus de peu d’apparence ; qui avais sans bruit replié ta beauté en toi-même… » (Rilke)

Paula Modersohn-Becker, ça vous dit quelque chose ? Peut-être avez vous entendu ce nom au gré d’une émission littéraire, puisque Marie Darrieussecq vient de publier sa biographie. Cette jeune artiste (1876-1907), née deux ans après la première exposition impressionniste, a le temps pendant les trois courtes décennies de sa vie, de travailler au sein de Worpswede, sorte de Barbizon allemande réunissant des peintres et des sculpteurs recherchant un contact authentique avec la nature. Elle y rencontre son futur mari ; des deux, elle se lasse bien vite. Elle y vit aussi une profonde amitié avec Rainer Maria Rilke (il écrira Requiem pour une amie en 1908) qui y habite avec son épouse, artiste comme elle. Elle a un coup de foudre pour Paris, où elle retourne à plusieurs reprises. Elle y rencontre Cézanne, Gauguin, Le Douanier Rousseau et Picasso et explore le Louvre en long et en large pour y découvrir les portraits du Fayoum dont le style aura tant d’influence sur ses propres portraits. De son mari lassant, elle a néanmoins une fille, mais meurt 19 jours seulement après la naissance. Quelques décennies plus tard, elle a l’insigne honneur de figurer dans l’exposition d’art dégénéré de Munich. Paula Modersohn-Becker est une femme indépendante, volontariste, qui dit vouloir à tout prix “devenir quelqu’un” et qui rêve d’exposer à Paris. Mais l’artiste dans tout cela ?

Sur les cimaises du musée d’art moderne de la Ville de Paris, des œuvres créées sur une demi-douzaine d’années : des portraits d’enfants, de ses proches, des autoportraits, des hymnes à la maternité, “à la douce vibration des choses”, quelques délicates natures mortes dues à son admiration pour Cézanne découvert chez Ambroise Vollard. On a qualifié son style de précurseur de l’Expressionnisme allemand. Les visages vus de profil, à l’instar des profils de la Renaissance florentine, laissent la place aux visages de face, aux yeux largement ouverts, à l’instar des visages du Fayoum. Paula Modersohn-Becker regarde ses modèles avec tendresse, en simplifie les corps, neutralise les fonds et resserre les cadres autour des seuls visages, afin de mieux plonger dans leur intimité. Ses autoportraits sans complaisance révèlent une confrontation entre l’artiste qu’elle rêve d’être et l’artiste méconnu ou incompris qu’elle est alors. Son Nu debout, 1906, est probablement le premier autoportrait d’un nu féminin en pied, peint par une femme.

Rien de mièvre dans cette peinture pâteuse, matérielle, aux tonalités atténuées, mais peu qui passionne vraiment. La femme serait-elle plus intéressante que son œuvre ? À chacun de se faire sa propre idée.

Elisabeth Hopkins

Visuel : Paula Modersohn-Becker (1876-1907). Autoportrait au sixième anniversaire de mariage, 25 mai 1906, détrempe sur carton, 101,8 x 70,2 cm. Museen Böttcherstrasse, Paula Modersohn-Becker
Museum, Brême © Paula-Modersohn-Becker-Stiftung, Brême.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 8 avril au 21 août 2016
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris
Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h.
Plein tarif : 10€
www.mam.paris.fr


 Cette exposition fut déjà présentée au Louisiana Museum of Modern Art, à Humlebæk (35 km au nord de Copenhague), de décembre 2014 à avril 2015. Lire notre reportage.
 Pour aller plus loin :
> Catalogue, édité par Paris Musées, 39€
> Marie Darrieussecq : Etre ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker, Éditions P.O.L., 2016.
> Requiem pour une amie de Rainer Maria Rilke, in Requiem, Éditions Verdier, 2007