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Picasso 1932

Souvent, avec Picasso (1881-1973), il faut chercher la femme, voire les femmes ! Le propos de cette nouvelle exposition du musée Picasso est de montrer la « tension sexuelle, l’atmosphère érotique », qui parcourent l’œuvre de Picasso durant l’année 1932.
Il vient d’avoir 50 ans et 1932 est en effet une année charnière en termes de créativité artistique, de diffusion et de réception de son œuvre et de vie privée. Il vient d’acheter le château de Boisgeloup (près de Gisors) pour y installer un atelier et y cacher sa liaison « secrète » avec Marie-Thérèse Walter, rencontrée en 1927, alors qu’il vit toujours avec Olga rue La Boétie. Il prépare, en sélectionnant d’anciens tableaux et en en peignant de nouveaux, sa première exposition rétrospective (223 tableaux et 7 sculptures) qui se tient en juin et juillet à la galerie parisienne Georges Petit et est qualifiée « d’événement mondain de l’année », suivie d’une autre de septembre à novembre à la Kunsthaus de Zurich, tout en supervisant l’édition du premier volume du catalogue raisonné de son œuvre par Zervos. Toute cette activité suscite interviews et critiques d’art. En fin d’année, Brassaï réalise un reportage photographique rue La Boétie et à Boisgeloup. Même controversée, la notoriété de Picasso ne fait pas de doute.

Le pari de suivre l’artiste au jour le jour tout au long de cette année 1932 est tout à fait réussi au fil d’un parcours de quinze salles où alternent tableaux, dessins, gravures et sculptures (110 en tout) mais également des documents du quotidien (photos, factures d’épicerie, billets de spectacles, publicités, courrier…). Cette relecture chronologique, que l’on peut rapprocher dans son intention de l’exposition du musée Rigaud de Perpignan (Picasso le cercle de l’intime) qui s’achève le 5 novembre 2017 et couvre trois années (1953-1955) de la vie du peintre, repose sur plusieurs déclarations de Picasso lui-même sur la question de la place de la vie privée dans l’œuvre. En 1932 justement, il déclare à Tériade dans une interview : « L’œuvre qu’on fait est une façon de tenir son journal. » Plus tard, il explicite face à Malraux : « Je peins comme d’autres écrivent leur autobiographie. Mes toiles, finies ou non, sont les pages de mon journal, et en tant que telles, elles sont valables. »

Alors, 1932 année érotique ? Le mot est peut être un peu fort, tant il est arrivé à Picasso d’être autrement suggestif… D’ailleurs, le titre choisi par la Tate Modern, qui reprend l’exposition à partir de mars 2018, s’en démarque nettement : « Picasso 1932 : Love, Fame, Tragedy ». Pudibonderie anglaise ? Certes, Le Rêve, peint le 24 janvier 1932 et qui a été choisi comme affiche de l’exposition parisienne, montre assez clairement un pénis comme partie supérieure du visage du « modèle blond », Marie-Thérèse. Nus, formes rondes et courbes, cette « période » Marie-Thérèse baigne bien dans une atmosphère sensuelle (La Lecture, Nu au fauteuil noir, Nu couché à la mèche blonde…). Abordant justement cette période, Philippe Dagen dans son « Picasso » (Hazan, 2011) estime « que l’artiste et l’amant ne se distinguent pas si aisément, que c’est en somme l’artiste qui aime et qu’il aime pour des motifs artistiques autant que sentimentaux et sexuels. Il peut être soutenu, réciproquement, que l’artiste obéit à ses pulsions premières et que son art n’est, par sublimation, que la satisfaction de ces pulsions. » (p. 228). Mais, on ne peut résumer cette année 32 aux seules évocations de sa jeune amante. Picasso reprend ou aborde aussi au cours de cette année les thèmes des baigneuses, du sauvetage de la noyade, de la crucifixion (d’après le retable d’Issenheim de Matthias Grünewald). Sans oublier un environnement surréaliste qui traverse certaines œuvres (Femme au fauteuil rouge, par exemple) dont on peut discerner une des raisons dans l’amitié ou l’admiration que lui vouent Leiris, Breton, Man Ray, la revue Minotaure venant de lui consacrer un magnifique numéro hommage. Le surréalisme triomphant ce cette époque fait sien l’artiste qui mêle étroitement mythes éternels et inconscient, transgression des modèles classiques et « signes » autobiographiques.

Le parti pris de l’exposition de suivre une stricte chronologie, comme on parcourt une éphéméride, est d’autant plus réussi qu’elle donne à voir au visiteur, outre les audaces, recherches et ruptures artistiques de Picasso, les paradoxes de la vie du peintre reconnu, qui mène une existence fort bourgeoise tout en poursuivant une œuvre iconoclaste qui n’en est qu’à son mitan. On sourit même lorsque, dans la même vitrine (Picasso semblait garder tout ce qui le concernait !), se juxtaposent sa cotisation au Touring Club de France, un dépliant publicitaire pour les magnifiques Hispano-Suiza, et l’invitation à l’ambassade d’URSS pour l’anniversaire de la révolution russe…

Jean-Michel Masqué

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 10 octobre 2017 au 11 février 2018
Musée national Picasso-Paris
5, rue de Thorigny (3e)
Tous les jours, sauf lundi, de 10h30 à 18h (de 9h30 à 18h le week-end et pendant les vacances scolaires)
Visite guidée tous les samedis à 15h30
Plein tarif :12,50€
www.museepicassoparis.fr

 

Pablo Picasso, La Crucifixion (MP 1 074), 19 septembre 1932, Boisgeloup. Dessin à la plume, dessin au pinceau, encre de Chine, vergé. Paris, musée national Picasso-Paris. Photo © RMN-Grand Palais (musée national Picasso-Paris)/Mathieu Rabeau © Succession Picasso - Gestion droits d’auteur
Fichier RMN : 16-537208.
Pablo Picasso, Le Rêve (coll particulière), 1932. Huile sur toile. Collection privée de Steven Cohen.