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Picasso « primitif » au musée du Quai Branly

Picasso s’intéressait à toutes les formes d’art avec une curiosité sans limite. À l’époque où il découvre l’art nègre à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 et en visitant le musée du Trocadéro, un masque nègre n’est alors considéré pour la plupart des gens que comme un objet ethnographique. Pour Picasso, c’est un détonateur. Il comprend que la peinture revêt le même sens magique que ces œuvres conçues par des hommes pour surmonter leur frayeur ; que la peinture est au-delà du processus esthétique. À partir de 1907, il va acquérir des œuvres extra-européennes, en commençant par un tiki des îles Marquises. C’est aussi à cette époque qu’il commence ses esquisses pour Les Demoiselles d’Avignon dont les deux visages à droite du tableau évoquent des masques congolais. Sa « toile d’exorcisme » dira-t-il.

La première partie de l’exposition Picasso Primitif s’ouvre sur une chronologie très documentée avec lettres, témoignages et citations (parfois contradictoires) anecdotes, photographies, catalogues et objets établissant de manière factuelle, de 1900 (date où Picasso arrive à Paris) à 1973 (année de sa mort), les œuvres non-occidentales que l’artiste à vues lors de visites de musées et d’expositions, celles qu’il a achetées, collectionnées par centaines, et auprès desquelles il a puisé tout au long de sa vie l’inspiration et l’impulsion de son geste créateur d’une grande liberté formelle. S’il n’a jamais été en Afrique et ne s’intéresse pas vraiment aux civilisations qui ont produit ces œuvres, Picasso les juge toutefois extraordinaires, en comprend parfaitement le sens et semble hanté par la force de leur expressivité.

Dans une seconde partie intitulée « Corps à corps », l’exposition confronte, juxtapose et fait résonner de manière thématique (Archétypes, Métamorphoses et le Ça) des œuvres d’artistes non-occidentaux (issues des collections du musée du Quai Branly), à celles de Picasso (issues du musée Picasso à Paris). Essentiellement des présences humaines sous formes de sculptures et de masques. De Picasso, parmi une centaine d’œuvres de l’artiste, on retrouve : Le Jeune Garçon nu (1906) entouré d’un ex-voto iraquien (XXe siècle) et de sculptures anthropomorphes de Polynésie et de Mélanésie (XXe siècle). Mais aussi l’étonnante Femme enceinte, 1949, presque réduite à une simple tige surmontée de deux bras comme des nattes et traversée par une boule, ou encore une sélection de gravures (aquatintes, eaux fortes, pointes-sèches) tirée de la série que l’on appelle « Les 60 » de 1966, réalisée à Mougins et représentant des corps dessinés à l’intérieur de sexes masculins. Et en fin de parcours, dans une scénographie de plus en plus sombre (évocation d’une grotte pariétale ?) des figurines en bronze à peine ébauchées comme cette Femme, 1948 (un anneau posé sur deux membres courts), œuvres picassiennes exposées au milieu d’objets magiques aux formes anthropomorphes tout aussi primitives.

Et d’œuvre en œuvre, au-delà de chercher à distinguer ce qu’il y a de commun entre les créateurs d’art “dit primitif” et Picasso dans leurs démarches plastiques, comme le projet de l’exposition nous y incite, on s’interroge : ce qu’on nomme art primitif, n’est-ce pas tout simplement l’élémentaire, le primordial ? C’est à dire la représentation lisible par tous et en tout temps, du corps nu, simplifié, stylisé (la verticalité, deux trous pour les yeux, une protubérance pour le nez, un sexe…) pour dire l’essentiel : l’humain magnifié, porteur de ses pulsions de vie et de mort, sans tabous.

Catherine Rigollet

Visuels : Vue de l’expo Picasso Primitif avec Le Jeune Garçon nu (Automne 1906, huile sur toile), encadré d’un Ex-voto d’Iraq et de sculptures anthropomorphes ©L’Agora des arts.
Pablo Picasso, Femme enceinte, 1949. Bronze fondu à la cire perdue, 130 x 37 x 11.5 cm © Photo RMN-GP (musée national Picasso-Paris) / Adrien Didierjean. © Succession Picasso 2017.
Visuel vignette : Pablo Picasso, Femme, 1948 © RMN-Grand Palais (Musée national - Paris) / Béatrice Hatala © Succession Picasso 2017.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 28 mars au 23 juillet 2017
Musée du Quai Branly – Jacques Chirac
218, rue de l’Université ou 37, quai Branly - 75007
Tous les jours, sauf lundi, de 11h à 19h
Nocturne jeudi, vendredi, samedi, jusqu’à 21h
Fermé le lundi
Tarif plein : 10€
Gratuit le 1er dimanche du mois
Tél. 01 56 61 70 00
www.quaibranly.fr