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Dancing with myself et Albert Oehlen

Dancing with myself, à la Punta de la Dogana

Il est des artistes qui font le choix de s’imposer dans leur œuvre, en prenant pour thème leur vie, leur corps, leur visage. Et de légitimer cette utilisation de soi en en faisant le vecteur d’un message politique, sociologique ou existentiel ou, plus rarement, humoristique. C’est ce que tente de démontrer cette exposition qui réunit 100 œuvres de la Collection Pinault et 45 du Folkwang Museum à Essen (Allemagne). Parmi ces artistes, les suspects habituels dont les visages nous sont maintenant familiers : le couple sur la toile et à la ville, Gilbert & George, qui ont une bonne dose d’humour sous leurs airs de banquiers de la City de Londres, même lorsqu’ils sont nus comme des vers ; ou Cindy Sherman, présente ici dans une série de grandes photos de 2016 ou elle s’offre en différentes stars vieillissantes d’Hollywood. Quarante ans plus tôt, elle se muait, sur des tirages argentiques de petit format, en des personnages divers avec un sens de la pose et de la théâtralité assez réjouissant (Passagers de l’autobus, 1976-2000, et Personnages de roman policier, 1976-2000). Ou encore Rudolf Stingel qui peint en un camaïeu de gris, par touches de pinceau très évidentes, son visage mélancolique, au regard tourné vers l’intérieur, à partir d’une photo (Louvre, d’après Sam, 20006).

Certains se mettent en scène occasionnellement, tel Adel Abdessemed, toujours prompt à une dénonciation des obscurantismes ou à une référence à l’actualité, ici le printemps arabe et le conflit syrien, dans une photo d’une auto-immolation (Je suis innocent, 2012). Que l’on se rassure, l’artiste est toujours vivant. L’autoportrait en pied et en bronze d’Alighiero & Boetti (un seul artiste malgré le double nom) montre comment un artiste peut « phosphorer » (de la vapeur s’échappe de son crâne) ou, peut-être, comment il se confronte à la tumeur du cerveau dont il se sait atteint. Plus discret, Felix Gonzalez-Torres, dans une œuvre autobiographique autant qu’abstraite – un rideau de perles rouges et blanches - nous fait « partager », sans dolorisme, le sida qui l’emportera avant qu’il n’ait 40 ans (Sans titre, (sang),1992). La sculpture-bougie de Urs Fischer va plus loin encore : son autoportrait fond inexorablement, la tête en premier, laissant un corps décapité non identifiable, le temps de vie réduit à la durée d’une bougie…Tempus fugit. Lili Reynaud-Dewar se peint le corps en noir pour danser nue dans les salles blanches d’un Centre Pompidou vide. Peinture-masque, danse-exhibition, une œuvre dichotomique dont l’esthétisme prégnant masque une métaphore possible sur la décolonialité.

Ces œuvres sont-elles une forme d’autobiographie, un désir d’immortalisation sinon d’une impossible immortalité, un déni, une provocation ? Le message n’est pas toujours évident pour le regardeur. Il se pourrait que les artistes aient pris comme devise ce que chantait Billy Idol, auteur de la chanson Dancing with Myself (1982) : « well, there is nothing to lose and there’s nothing to prove… » ?

Albert Oehlen, Cows by the water, au Palazzo Grassi

Ni vaches ni eau dans cette exposition ! Albert Oehlen (né en 1974), auteur du titre, fait référence à la Suisse où il vit aujourd’hui et à Venise…Pourquoi pas ? Le Palazzo Grassi consacre toutes ses cimaises aux œuvres bi-dimensionnelles de cet artiste allemand, associé un temps au « bad painting », qui séduit et intrigue tout à la fois et mériterait d’être mieux connu en France, où il fut exposé au Carré d’Art de Nîmes en 2011. Une exposition déroutante puisque l’accrochage des 85 œuvres, couvrant une quarantaine d’années de créativité, ne respecte ni les styles ni la chronologie. Oehlen est résolument abstrait, à l’exception de deux autoportraits. Il utilise pinceau, brosse, ou ses doigts, pour une peinture gestuelle qui coule comme chez Pollock, se dilue comme chez De Kooning, et se cache derrière des « Sans titre » ou « F.M. » (Finger malerei) répétitifs. Confronté à des œuvres structurées et définies, comme sa série « Arbres », musicales comme ses « Conductions », inspirées par les mouvements de la baguette du chef d’orchestre, ou palimpsestes lorsqu’il peint sur des fragments d’affiches, on peut laisser libre cours à son imagination devant une peinture variée et lumineuse, qui ne contient aucun message, sinon celui de se laisser attirer et séduire. Une belle découverte.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Urs Fischer, Untitled, 2011. © Urs Fischer. Courtesy of the artist and Sadies Coles HQ, London. Photo Stefan Altenburger.
Albert Oehlen, Frau im Baum II, 2005. Collection particulière. © A. Oehlen. Photo Lothar Schnepf.

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Dancing with myself
Du 8 avril au 16 décembre 2018
Punta della Dogana
Dorso Duro 2, Venise
Albert Oehlen
Du 8 avril 2018 au 6 janvier 2019
Palazzo Grassi
Campo San Samuele 3231
Venise
Les deux sites sont ouverts de 10h à 19h
Dernier accès à 18h
Fermé le mardi
Entrée : 18 euros, billet combiné
www.palazzograssi.it