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Van Dongen et le Bateau-Lavoir

Montmartre ne se limite pas à la place du Tertre, ses hordes de touristes et ses chevalets sans inspiration ! Il y a, rue Cortot, le musée de Montmartre au charme rénové dont les jardins Renoir dominent la vigne du Clos-Montmartre. Le musée accueille ces six prochains mois l’exposition « Van Dongen et le Bateau-Lavoir » qui revient sur le prodigieux passé artistique de ce quartier bohème et libertaire, si propice à l’éclosion des talents les plus novateurs au tournant du siècle dernier.
Le titre de l’exposition est quelque peu restrictif qui ne se limite pas à la période relativement courte (1905-1907) pendant laquelle le peintre hollandais Kees Van Dongen (1877-1968) occupe un atelier au Bateau-Lavoir à côté de celui de Picasso et rencontre peintres et poètes qui gravitent autour de l’astre espagnol naissant. Il est vrai que cette période resta tellement marquée dans l’esprit du peintre (naturalisé français en 1929) qu’il baptisa « Le Bateau-Lavoir » la villa de Monaco où il se retira de 1949 à sa mort. On retrouve aussi cette nostalgie de son époque montmartroise dans les lithographies très expressives, dont vingt tirages originaux sont présentés dans l’exposition, que Van Dongen réalisa pour illustrer le livre de Roland Dorgelès, Au beau temps de la Butte, sorti en 1949. Cette série, d’une belle drôlerie caricaturale et d’une nostalgie certaine, rappelle son passé d’illustrateur de revues tout en lui offrant une manière légère de représenter ses souvenirs.

L’exposition évoque la carrière de Van Dongen de ses débuts, marqués par un impressionnant « Autoportrait » (1895), sombre et massif comme prêt à dominer l’espace et le temps, à sa période mondaine où l’artiste anarchiste devient le peintre connu et embourgeoisé du Tout-Paris des Années folles, une fois déménagé du côté de Montparnasse… On remarque d’ailleurs cette rupture dans les portraits de ces années-là d’où toute énergie « fauve » semble s’être retirée. Pour les années fauves de Van Dongen, on peut citer Apollinaire, qui n’a pourtant pas apprécié immédiatement l’œuvre du Néerlandais, qui écrit en 1918 : « Ce coloriste a le premier tiré de l’éclairage électrique un éclat aigu et l’a ajouté aux nuances. Il en résulte une ivresse, un éblouissement, une vibration, et la couleur, conservant une individualité extraordinaire, se pâme, s’exalte, plane, pâlit, s’évanouit sans que l’assombrisse jamais l’idée seule de l’ombre. » Cette citation subtile est extraite de l’excellent catalogue édité par Somogy/Éditions d’art à l’occasion de cette exposition (154 pages, 19 €).

Le cœur vibrant de l’exposition pourrait bien être la salle où Van Dongen se frotte à Picasso, celle du « dialogue raisonné entre Picasso et Van Dongen » comme le détaille Jean-Michel Bouhours dans le catalogue (p. 27-41). Elle symbolise l’émulation, les amitiés et rivalités qui agitent la Butte dans ces années-là entre rien moins que Matisse, Derain, Vlaminck, Picasso, Van Dongen pour ne citer que certains des artistes majeurs se côtoyant alors, et provoquent le cataclysme de l’art moderne que l’on sait. Pendant les à peine deux ans où Van Dongen installe son atelier au Bateau-Lavoir, une réelle amitié s’instaure entre les couples Picasso (Pablo et Fernande Olivier) et Van Dongen (Kees et Guus). 1907 marque l’apogée de cette relation à travers le portrait Fernande Olivier par Van Dongen (qui sert d’ailleurs à l’affiche de l’exposition) et la grande toile Les Lutteuses de Tabarin que le peintre exécute en écho à la toile de Picasso qui fascine autant qu’elle effraie les observateurs, Les Demoiselles d’Avignon. Pas besoin de s’étendre sur l’importance de cette œuvre ! « Van Dongen, analyse justement Bouhours, a voulu répondre au « bordel philosophique » de Picasso - titre donné par Salmon aux Demoiselles d’Avignon en 1912- en affirmant à la fois une volonté moderniste poussée dans le traitement de l’espace pictural et de la couleur, et le refus d’une géométrisation érigée en système et perçue comme contre-nature… » (p. 41 du catalogue). Pour cela, et bien d’autres choses (la figure centrale d’Otto van Rees notamment), cette exposition mérite une visite prolongée dans un des plus jolis musées parisiens.

Jean-Michel Masqué

Visuels : Kees van Dongen, Fernande Olivier, 1907, huile sur toile, 100 x 81 cm, collection particulière. Photo : L’Agora des Arts.
Kees van Dongen, Les Lutteuses de Tabarin, 1908, huile sur toile, 150,5 × 164 cm, sbd « Van Dongen », Monaco, Nouveau musée national de Monaco. Photo : L’Agora des Arts.
Anonyme, Le Bateau Lavoir, 13 rue Ravignan, s. d. tirage moderne, Musée de Montmartre, collection Le Vieux Montmartre © Le Vieux Montmartre (Bateau-Lavoir : Max Jacob l’aurait ainsi appelé en voyant du linge à sécher la première fois qu’il y pénétra. Détruit par un incendie en 1970)

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 16 février au 26 août 2018
PROLONGATION JUSQU’AU 9 SEPTEMBRE
Musée de Montmartre
12, rue Cortot, Paris (18e)
Tous les jours de 10h à 19h d’avril à septembre
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h en juillet et août,
et de 10h à 18h d’octobre à mars.
La dernière entrée s’effectue 45 minutes avant la fermeture des salles et l’entrée dans les jardins jusqu’à 20 minutes avant la fermeture du site.
Tél. 01 49 25 89 39
Tarif plein : 12€
www.museedemontmartre.fr

 


 catalogue édité par Somogy/Éditions d’art à l’occasion de cette exposition (154 pages, 19 €.

 


 L’occasion de visiter les collections permanentes de ce musée qui raconte la création artistique sur la Butte, ses jardins, sa vue sur les vignes de Montmartre et l’atelier appartement de Suzanne Valadon et de son fils Mautrice Utrillo, au décor reconstitué à l’identique.
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