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Etre moderne : Le MoMA à Paris

Alfred Barr n’avait pas trente ans lorsque lui fut confiée, en 1929, quelques jours avant le krach boursier, la direction du musée qui deviendrait “le premier musée d’art moderne du monde”. Refusant de se limiter aux seules peintures et sculptures, il voulut en faire une institution multidisciplinaire et internationale ouverte à l’architecture, la photographie, le cinéma, voire l’objet industriel. Une vision fort bien mise en valeur ici. Au fil des décennies, le musée ferait de la place à l’art américain alors même que l’art européen régnerait en maître jusqu’aux années 50 ; ses collections s’ouvriraient à d’autres régions du monde et à l’art contemporain grâce à des achats judicieux, à de magistrales donations de collectionneurs, sans oublier l’insistance de certains artistes désireux d’être présents sur les cimaises.

D’entrée de jeu, avant même Cézanne (Nature morte aux pommes, 1895-98), Picasso (L’atelier, 1927-28 ou Le meneur de cheval, 1905-06) ou Brancusi (Oiseau dans l’espace, 1928), nous sont offerts des objets industriels, des photos de Walker Evans, des extraits de films. L’innovation est bien là !
Les vastes espaces blancs de la Fondation, qui ne sont pas sans rappeler ceux du musée newyorkais, offrent dès le début quelques pépites : le portrait de Félix Fénéon, créateur du mot néo-impressionnisme, par Signac, ou Scène de rue à Berlin, 1913, sur fond rose de lupanar, de Kirchner. Les œuvres s’égrènent, acquises avec flair ou persuasion par Barr, avec l’aide de ses riches mécènes. À l’écoute du monde, Barr condamne le nazisme et sa catégorisation des œuvres. Il acquiert donc Le départ, 1932, 33-35, triptyque de Max Beckmann, et l’inclut dans une exposition mettant en valeur les œuvres dites “dégénérées”. Après sa démission forcée en 1943, le musée continue sa politique d’ouverture en acceptant les Expressionnistes Abstraits (Action painters et Colorfield painters) dans ses collections. L’acquisition du No. 10, 1950 de Rothko1952 entraine même la démission du premier président du musée. Malgré le scepticisme ambiant sur la qualité artistique d’œuvres empruntant à l’imagerie populaire et à la publicité, le Pop Art entre au musée avec Warhol et Liechtenstein, rejointes par les œuvres inclassables de la fin du 20e siècle, telles les peintures de lettres de Christopher Wool, Untitled, 1990, les photos en caisson lumineux de Jeff Wall, ou les néons de Bruce Nauman. Pas de 21e siècle sans une allusion au 11 Septembre 2001, évoqué avec pudeur par l’émouvante petite toile de Gehrard Richter, September, 2005 donnée au musée par l’artiste lui-même. Pas de 21e siècle non plus sans art digital et vidéo, voire sans un retour à la peinture, mais une peinture engagée, avec une toile de Mark Bradford évoquant cellules, molécules, lésions, caillots à l’heure du Sida, ou les grandes scènes avec personnages noirs par l’artiste afro-américain Kerry James Marshall. Forty-part motet, 2001, une “marche audio” de Janet Cardiff entre 40 hauts parleurs diffusant, voix par voix, un motet de Thomas Tallis, compositeur du 16e siècle, conclut de façon sereine cette passionnante exposition.

L’admiration devant l’audace de ceux qui montèrent la collection dans le passé et de ceux qui continuent à l’enrichir, la qualité de chaque œuvre connue ou inconnue, et le contraste marqué mais stimulant entre les modernes et les contemporains, incitent à soulever certaines questions : une institution muséale pourrait-elle s’offrir une telle exposition ? L’art du 21e siècle survivra-t-il aussi bien que l’art moderne ? Ou encore, quel art privilégier au 21e siècle, et pour quel public ?
On bravera sans hésitation les longues queues et une entrée coûteuse pour s’offrir cette belle dose de MoMA.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Paul Signac (France, 1863-1935). Sur l’émail d’un fond rythmique de mesures et d’angles, de tons et de teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890, Opus 217, 1890. Huile sur toile, 73,5 × 92,5 cm. The Museum of Modern Art, New York. Don de M. et Mme David Rockefeller, 1991.
Pablo Picasso (Espagne, 1881 – 1973), L’Atelier, Paris, hiver 1927 – 1928. Huile sur toile, 149,9 × 231,2 cm. The Museum of Modern Art, New York. Don de Walter P. Chrysler Jr., 1935.
Bruce Nauman (États-Unis, né en 1941), Human/Need/Desire (Humain/Besoin/Désir), 1983. Tubes de néon et fils électriques, cadres de suspension en tube de verre, 239,8 × 179 × 65,4cm. The Museum of Modern Art, New York. Don d’Emily et Jerry Spiegel, 1991.
Ellsworth Kelly, Colors for a Large Wall (Couleurs pour un grand mur), 1951. Huile sur toile, 64 panneaux. Dimensions totales : 240 × 240 cm. The Museum of Modern Art, New York.Don de l’artiste, 1969 © 2017 The Estate of Ellsworth Kelly.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 11 octobre 2017 au 5 mars 2018
Fondation Louis Vuitton
8 avenue du Mahatma Gandhi
Bois de Boulogne 75116 Paris
Ouvert lundi, mercredi et jeudi de 11h à 20h
Vendredi, de 11h à 21h (23h le 1er vendredi du mois)
Samedi et dimanche, de 9h à 21h
Fermé le mardi
Pendant les vacances scolaires, tous les jours de 9h à 21h
Entrée : 16€ (incluant parcours autoguidé)
www.fondationlouisvuitton.fr