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Jean-Michel Basquiat. Entre émotion et provocation

En 1981, Jean-Michel Basquiat (1960-1988) présente quinze œuvres dans l’exposition New York/New Wave dans une école de Queens (NY). À sa mort d’une overdose sept ans plus tard, il aura couvert de son style énergique, embrouillé, enfantin, faussement naïf, plus de 500 toiles et produit quelque 1500 dessins qui vont conquérir le monde de l’art et en font aujourd’hui l’artiste contemporain le plus coté. Ce sont à ses toiles principalement, ainsi qu’à 25 œuvres sur papier que la Fondation Vuitton consacre ses vastes cimaises blanches, hommage au peintre qui fut aussi graffeur, DJ, acteur de cinéma et clarinettiste. On avait jamais vu autant de ses toiles à Paris depuis la rétrospective au musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2010.

Né dans une famille bourgeoise d’un père haïtien et d’une mère d’origine portoricaine, dans un New York encore raciste, il parcourt les musées avec sa mère dès l’âge de 5 ans. Il s’intéresse à la boxe et au jazz, peint des T-shirts et des cartes postales, jusqu’à cette fameuse année 1981 où il expose à New York et à Modène mais est vraiment “lancé” par un article du critique d’art René Ricard. Il sera le plus jeune artiste exposé à la documenta 7 de Kassel de 1982, avec Arroz con Pollo, 1981, riche de références portoricaines. La figuration est, dit-on, dépassée, mais Basquiat peint des figures, masculines surtout, noires puisque l’homme noir est “invisible” dans la société tout comme dans les musées, des corps, laissant voir muscles, os et artères, ou des visages aux dentitions envahissantes, aux yeux et oreilles largement ouverts sur un milieu hostile, contourées par des lignes qui pourraient être des lignes de défense contre les attaques d’une société blanche dominatrice.

Au fil des salles, “crient” des œuvres aux techniques mixtes – peinture acrylique ou à l’aérosol, dessin au crayon gras, collages, sur toile, sur papier, sur planches, sérigraphies, – , explorant des inspirations aussi diverses que la rue newyorkaise (Boy and Dog in a Johnnypump, 1982) et la violence policière (Irony of a Negro Policeman, 1981), la boxe, les héros et les guerriers, couronnés d’épines ou auréolés, que ce soit le Samson biblique qu’il peint en noir (Obnoxious liberals, 1982), un boxeur (Sans titre (Saint), 1982) ou un jazzman, le plus souvent poing levé. Aux scènes narratives occupées par des figures empruntées à l’art ou à l’histoire, viennent s’ajouter lettres, chiffres, et ratures, fragments de mots ou de textes, formules ésotériques, témoignant de sa vaste culture en musique, anatomie, histoire de l’Afrique, économie, antiquités. Basquiat aime les références croisées : pourquoi Nat King Cole et la Joconde sur la même toile ? Parce que Mona Lisa, un tube du pianiste de jazz (Lye, 1983). En 1984, son galeriste, Bruno Bischofberger lui conseille de collaborer avec Andy Warhol. Résultat, 200 œuvres à quatre mains, chaque artiste incorporant sa touche personnelle dans le travail de l’autre (Eiffel Tower, 1986). L’exposition, commencée avec trois têtes noires du début des années 1980, trois “vanités”, selon les commissaires, se termine avec Riding with Death, l’année de sa mort, où l’on ne sait si le cavalier chevauche un squelette d’homme ou de cheval, dans un dessin dépouillé, sur fond nu, comme si l’artiste s’était débarrassé de ce qui n’était plus essentiel, pour cette dernière galopade vers la mort.

Néo-expressionniste sans le savoir, auteur d’une peinture émotionnelle, engagée, provocatrice, Basquiat reste une énigme stylistique que seuls des contacts multiples avec sa peinture nous permettent d’apprécier. Cette exposition nous en offre une formidable opportunité.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Jean-Michel Basquiat, sans titre, 1981. Acrylique et crayon gras sur toile, 205,7 x 175,9 cm. Collection Eli et Edythe L. Broad.
Jean-Michel Basquiat, Boy and Dog in Johnnypump, 1982. Acrylique sur toile. Courtesy The Brant Foundation, Greenwich, Connecticut, Etats-Unis.
Jean-Michel Basquiat & Andy Warhol, Eiffel Tower, 1985. Acrylique sur toile. Collection particulière.
Photos : L’Agora des Arts, 2 octobre 2018.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 3 octobre 2018 au 24 janvier 2019
PROLONGATION JUSQU’AU 21 JANVIER
Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne
Lundi, mercredi et jeudi, 11h-20h
Vendredi, 11h-21h
Samedi et dimanche, 9h-21h
Nocturne jusqu’à 23h le 1er vendredi du mois
Fermé le mardi
Tarif plein : 16 €
www.fondationlouisvuitton.fr

 

À voir aussi à la Fondation Vuitton, un important ensemble d’œuvres du peintre autrichien Egon Schiele (1890-1918). Un autre météore de l’art expressionniste, dont le caractère existentiel de la ligne est proche de celui de Basquiat.