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Porcelaines de Meissen et de Chantilly. « L’or blanc du XVIIIe siècle »

Meissen et Chantilly, c’est l’histoire d’une guerre artistique et commerciale, saupoudrée d’espionnage et de copiage entre deux fabriques de porcelaine. L’espoir aussi pour toutes deux de lutter contre les productions asiatiques (déjà) et de s’imposer en ce début du XVIIIe siècle en rivalisant de virtuosité technique et d’extravagance décorative.

Rareté, exotisme, pureté de leur blancheur, à cette époque, les porcelaines importées de Chine puis du Japon par la Compagnie hollandaise des Indes orientales séduisent les amateurs éclairés tels les princes, Auguste le Fort, électeur de Saxe et roi de Pologne, et Louis-Henri de Bourbon, prince de Condé, premier ministre du roi Louis XV qui les collectionnent. Mais ils vont faire plus encore : créer leur propre fabrique. En Saxe, dès 1710, Meissen est la première à produire de la porcelaine à pâte dure, comme en Orient. En 1730, ouvre à Chantilly une autre fabrique de porcelaine, tendre cette fois, c’est-à dire sans kaolin (découvert en France qu’en 1768), couverte d’un émail d’étain pour la rendre plus blanche. Une fabrique « dirigée » par Cicaire Cirou, un faïencier venu de Saint-Cloud.

Toutefois avec ces moines bouddhistes bedonnant et rieurs, ces singeries, ces buveurs de thé, ces ramages de fleurs exotiques, les motifs s’inspirent de ceux de l’Extrême-Orient. Mais combinés à de riches montures en bronze doré, ils donnent naissance à des vases, pendules, flambeaux, écritoires ou fontaines pleins de fantaisie et agrémentés d’une pincée de goût français. Ainsi cet étonnant concert de singes habillés en petits marquis et coiffés de perruques poudrées, décorant une pendule à orgue (Meissen, 1753). Une impressionnante pièce montée kitschissime commandée -pense-t-on- par madame de Pompadour. Un ensemble en tout cas unique au monde. Ou encore ce surprenant et rare vase-cage à oiseaux dont il ne reste que trois exemplaires.

Meissen/Chantilly, la rivalité est un dialogue fécond qui pousse à rechercher perfection technique, extravagance décorative ou réalisme, comme ce Héron en train de faire sa toilette dans une posture très naturaliste (Meissen, 1732), ce Vautour dévorant un cacatoès, sorti des fours de Chantilly en 1734 ou encore un Ara semblant descendre d’une branche imaginaire. Trois pièces de Meissen d’une taille exceptionnelle (de 80 cm à un mètre), ayant nécessitées près de sept mois de séchage avant cuisson. Difficile pour le coq gaulois de rivaliser en taille. C’est pourtant la pièce de Chantilly la plus ambitieuse dans ce domaine, mais à la blancheur des trois autres, il répond par une belle polychromie inspirée de la nature.

Les animaux sont rois sur les porcelaines, les singes notamment (leur mise en scène dans la Grande singerie du château est une œuvre en soi imaginée par l’architecte-scénographe new-yorkais Peter Marino, par ailleurs collectionneur de porcelaine et de céramique). Les oiseaux leur font concurrence, mais aussi les carlins ; des chiens très prisés au XVIIIe siècle pour leur origine asiatique et leur réputation de courage et de fidélité. Plus surprenante, la place des éléphants que les sculpteurs n’avaient jamais vus de leurs propres yeux et auxquels ils donnaient un regard humanisé. Étonnant aussi ce rhinocéros ; un animal à peine connu à l’époque, révélé par une gravure de Dürer, puis par un spécimen promené dans les capitales d’Europe en 1741.

Conçue par Mathieu Deldicque, conservateur au musée Condé, cette belle exposition réunit près de 130 objets qui se marient parfaitement au style rocaille extravagant et raffiné des pièces du château de Chantilly avec son décor de lambris blanc et or. Petit bémol : l’absence de cartels. Cette mode sévissant trop souvent dans les expositions opposant l’esthétique à la pédagogie. L’absence de cartels n’apportant rien à la première et nuisant à la seconde. Prenons un exemple avec ces deux vases posés sciemment côte à côte, apparemment identiques. Une paire pense-t-on ? Et non, l’un est de Meissen, l’autre de Chantilly. On est donc face à une preuve de la rivalité à laquelle se livraient les deux manufactures qui n’hésitaient pas aussi à apposer de fausses marques de Chine sur leurs pièces pour les vendre mieux et plus cher. Elles finiront par dominer la production extrême-orientale… jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle concurrente française, Sèvres, qui allait laisser sur le côté à la fois Chantilly et Meissen. Mais c’est une autre histoire.

Catherine Rigollet

Visuels : Éléphant et cornac oriental montés en pendule. Porcelaine dure de Meissen à décor polychrome montée en bronze ciselé et doré, fleurs en pâte tendre française. Manufacture de Meissen, modèle de Peter Reinicke (novembre 1743), vers 1745. Mouvement d’Étienne Le Noir à Paris (sans doute Pierre-Étienne, reçu maître en 1743) et monture française, vers 1750 Fleurs en pâte tendre française (Vincennes ?), vers 1750. H. 46 ; Pr. 33,5 cm. Collection particulière ©Christian Mitko
Héron, Porcelaine dure de Meissen, Manufacture de Meissen, modèle de Johann Joachim Kändler, mars 1732. H. 73,2 ; L. 45 ; D. 28,8 cm. Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Porzellansammlung, PE 137 ©Porzellansammlung Staatliche Kunstsammlungen Dresden Foto Adrian Sauer.
Pagode à tête et mains mobiles (terme désignant ces figurines représentant un moine bouddhiste assis au manteau ouvert laissant ventre et torse découverts). Porcelaine dure de Meissen à décor polychrome. Manufacture de Meissen, vers 1730-1740. H. 21,2 cm. Conservé à Sèvres, musée de Céramique. Photo D.R.

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 5 septembre 2020 au 3 janvier 2021
PROLONGATION JUSQU’AU 29 AOÛT
Dans les Grands Appartements
Tarif plein : 17 € (château, parc, Grandes Écuries et expos)
Tous les jours, sauf mardi
Toutes les infos :
www.domainedechantilly.com


  Catalogue, éditions Monelle Hayot. 29€
 À voir aussi à Chantilly jusqu’à mi-juillet 2021
« Carmontelle, ou le temps de la douceur de vivre ».
 Et ne manquez pas d’admirer dans le Cabinet des livres, les Livres d’heures enluminés. La collection du duc d’Aumale est époustouflante avec notamment ces deux chefs-d’œuvre que sont « Les Très Riches Heures du duc de Berry » et les « Heures d’Étienne Chevalier ».


  A noter : du 18 novembre 2020 au 6 juin 2021, la manufacture de Sèvres présente « A Table ! Le repas, tout un art », mettant ainsi en valeur son rôle de créatrice de pièces de table. https://lagoradesarts.fr/-A-table-Le-repas-tout-un-art-.html