Auguste Herbin. Du postimpressionnisme à l’abstraction

Reproche-t-on à Picasso ses différentes périodes créatives ? Tour à tour postimpressionniste, fauve, cubiste, figuratif et abstrait, son contemporain Auguste Herbin (1882-1960) a eu une trajectoire similaire à celle du maître espagnol mais une renommée bien moindre. À cela, il y a sans doute plusieurs raisons qui opposent l’homme du Nord et l’homme du Sud… Pourtant, sans qu’ils aient entretenu des relations très étroites, les deux artistes se sont rencontrés et fréquentés puisque Herbin succéda à Picasso en 1909 dans son atelier du Bateau-Lavoir, qu’il occupa jusqu’en 1927. En 1911, Picasso réalise un portrait photographique très connu de Herbin dans son atelier du boulevard de Clichy. Cette fréquentation de la Butte et ses alentours explique aussi la légitimité du musée de Montmartre à exposer Herbin. Le grand intérêt de la nouvelle exposition temporaire du musée est de faire sortir de l’ombre ce grand artiste méconnu, cet « outsider » de la peinture moderne. Plus de soixante ans après la mort d’Herbin, il s’agit de sa première exposition rétrospective dans un musée parisien !

Le parcours de l’exposition est strictement chronologique, de Paysage nocturne à Lille (1901) à Parfum n°2 (1954), qui révèle, malgré des périodes bien distinctes, des constantes au niveau de la construction et de l’équilibre des compositions, de l’harmonie des couleurs. Cézanne et Van Gogh resteront ses maîtres absolus. La couleur est sa grande affaire, mais aussi la forme géométrique, qui le font tour à tour fauve puis cubiste, jamais tout à fait novateur mais toujours au cœur de l’avant-garde. Même son cubisme est « haut en couleur ». Sa géométrisation des formes l’entraîne vers l’abstrait et le monumental. Si, en 1918, Herbin qui a rejoint la galerie Rosenberg est un peintre abstrait, il s’engage aussi pendant quatre ans dans la réalisation de ce qu’il appelle des « Objets monumentaux », peintures à fresques, reliefs, objets, meubles, des sortes de « totems » modernes qui ne rencontrent aucun succès.

Comme d’autres artistes contemporains, Herbin connaît ensuite dans les années vingt une période figurative, de « réalisme magique », ce que la critique de l’entre-deux-guerres a qualifié plus généralement de « Retour à l’ordre ». De l’ordre, Herbin en met aussi dans sa vie qui adhère au Parti communiste dès sa fondation en 1920 et se marie en 1922… Ce qui ne le fait pas pour autant adhérer aux canons du réalisme socialiste qui sera, au contraire, la raison principale de sa rupture avec le PCF en 1947.

Par la courbe, qui fait disparaître la figure et l’objet, Herbin revient à l’abstraction, toujours dans un foisonnement de couleurs et un sens aigu de la composition. En 1931, il préside l’association « Abstraction-Création » qui réunit tout (ou presque !) ce que Paris compte d’artistes abstraits, français et étrangers (Arp, Delaunay, Gleizes, Hélion, Kupka, Valmier, Vantongerloo…) Herbin se fait « le chantre de l’abstraction circulaire » puis retrouve les formes géométriques en même temps les contrastes de couleurs pures, « illuminé » par la découverte de la théorie des couleurs de Goethe dont quelques extraits sont traduits à la fin des années trente. Les premières années de la guerre et de l’occupation, influencé par la littérature (Baudelaire, Goethe, Rimbaud) et la musique (Bach), Herbin invente un alphabet plastique (correspondances entre formes géométriques, lettres de l’alphabet, couleurs et notes de musique) qu’il explicite et développe dans son traité « L’Art non-figuratif non-objectif » (1949). Il recherche l’unité entre la forme et la couleur, cherche à mieux exprimer les couleurs par les formes géométriques.
Son influence auprès d’une partie de la génération des artistes d’après-guerre est alors à son plus haut si sa réputation n’atteint guère ni les milieux de l’art (conservateurs et curateurs en premier) ni le grand public amateur a fortiori. Trop secret, trop sage, trop policé M. Herbin, dans sa vie comme dans son œuvre ?

Jean-Michel Masqué

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 15 mars au 15 septembre 2024
Musée de Montmartre Jardins Renoir
12, rue Cortot (Paris 18e)
Tous les jours de 10h à 19h
Nocturne les mercredis de juillet et août jusqu’à 22h
Plein tarif : 15 €
Tél. 01 49 25 89 39
www.museemontmartre.fr


Visuels :

 Auguste Herbin – Portrait de jeune fille, 1907. Huile sur carton, 61 x 48,5 cm © ADAGP, Paris.

 Auguste Herbin, Les joueurs de boules n°2, 1923. Huile sur toile, 146 x 114 cm © ADAGP, Paris.

 Pablo Picasso, Portrait d’Auguste Herbin dans l’atelier de Picasso, 11 boulevard de Clichy, 1911. Photographie. © ADAGP, Paris.

 Auguste Herbin, Composition à la maison rouge, 1925. Huile sur toile, 100 x 81 cm © ADAGP, Paris.

 Auguste Herbin, Lune, 1945. Huile sur toile, 61 x 50 cm © ADAGP, Paris.

 Auguste Herbin, Parfum N°2, 1954. Huile sur toile, 116 x 89 cm © ADAGP, Paris