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La Ronde. 7e édition… autour des fleuves

Six artistes contemporains investissent quatre des onze musées de la RMM, avec des œuvres inspirées de la thématique du fleuve et en dialogue avec les collections. Chaque artiste offre sa vision unique du cours d’eau, allégorique, symbolique, poétique, écologique…

Réunis au sein de la RMM (Réunion des Musées Métropolitains) depuis janvier 2016, Rouen et ses onze musées (des arts aux sciences, de la littérature à l’industrie), affichent une belle vitalité en matière culturelle et notamment artistique. L’automne démarre en beauté avec la 7e édition de La Ronde qui a pris la Seine comme muse. « Une formidable dynamique qui engage les musées à travailler en réseau et met en lumière la création contemporaine », souligne Sylvain Amic à la tête des musées de Rouen. Sélectionnés par la RMM à l’issue d’un appel à projets, six artistes (trois hommes et trois femmes, quadras pour la plupart) d’horizon et de techniques variées ont investi quatre musées avec des œuvres qui s’inspirent librement de la thématique du fleuve. Tout en dialoguant avec les collections, chacun des artistes propose sa vision du cours d’eau : symbolique, métaphorique, nourricier, mythologique, dangereux, vulnérable…et nous entraine dans un voyage tout à la fois contemplatif et réflexif, d’un musée à l’autre.

Au musée des Beaux-arts, pirogues, pêcheurs, jeunes baigneurs et lingères sur les rives des fleuves Sénégal et Gambie habitent les toiles d’Alioune Diagne, et répondent, par leur style au pointillisme novateur et aux couleurs chaudes, aux œuvres impressionnistes accrochées en vis à vis. Mais à la différence de ses précurseurs en la matière, Alioune Diagne ne construit pas ses toiles avec des couleurs pures juxtaposées, il commence par esquisser les grandes lignes de ses compositions, puis les recouvre au pinceau de milliers de petits signes abstraits aux couleurs lumineuses qui viennent former comme un maillage sur la toile, et un effet de floutage. Créateur du mouvement artistique « figuro-abstro » comme il le nomme, attiré par de nombreuses thématiques qu’il rassemble dans des « collections », cet artiste en pleine ascension, soutenu par la galerie Templon et représentant du Sénégal à la prochaine Biennale de Venise, se voit aussi comme un lanceur d’alertes par l’art, ici la raréfaction de la ressource halieutique de son pays victime de la surpêche industrielle internationale.
L’univers très poétique de Natalia Jaime-Cortez nous entraîne dans la musique et les couleurs de l’eau des différents fleuves du monde, avec ces compositions de grands pans de papier gorgés d’encre qui se déploient comme des paysages dont elle peut modifier la composition, les structurer comme des calicots flottants ou les suspendre à des structures en métal comme des sculptures.
Sandrine Reisdorffer joue aussi avec le ruissellement de l’eau, mais en vidéo et sur son propre visage qui se couvre peu à peu d’étranges coulures de ce bleu outremer très utilisé dans les représentations religieuses et notamment les vierges. Un questionnement du rapport à l’image, de ce qui fait corps, image, mémoire et qui n’est pas sans rappeler le visage apaisé de cette jeune inconnue repêchée de la Seine à la fin du 19e siècle ; visage qui, une fois moulé, a servi de modèle aux mannequins de réanimation.
Entre deux toiles impressionnistes des collections du musée, Jean-Arneau Filtness a glissé une petite vidéo expérimentale qui nous entraine au bord d’un fleuve ou circulent des voiliers. Il a renversé l’image de 90° et découpé le scénario avec des intervalles noirs pour renforcer le fantastique de ce récit inspiré du Horla de Maupassant. Au musée de la Céramique, l’artiste plasticien a installé Pour Trois fleuves rectilignes, une sculpture minimaliste en verre bleu sur un fond de miroir qui joue des formes et des matières pour symboliser trois fleuves imaginaires, faisant fi des courbes et sinuosités d’un cours d’eau. En collaboration avec le maître verrier Eric Boucher, il a également moulé des petits cubes de verre au bleu inspiré de celui de la faïence rouennaise, contenant métaphoriquement 80 millions de km3 d’eau imaginaire.

Inspiré par le musée industriel de la Corderie Vallois, un site baigné par la rivière Cailly, à l’architecture remarquable et aux collections patrimoniales héritées du XIXe siècle, Baptiste Carluy a créé un bestiaire aquatique issu de l’imagination des hommes, où il est joliment question d’empreintes et de peintre-pêcheur à la corde, en échos au lieu.
Dans le joli manoir à colombages qui fut la résidence des champs de Pierre Corneille que le dramaturge gagnait par bateau depuis sa maison rouennaise, deux grandes œuvres textiles de Céline Tuloup installées dans le jardin invitent le public à un voyage sur le fleuve antique qu’est le Styx pour dresser une réflexion sur nos enjeux contemporains. Sur un grand tissu bleu posé sur l’herbe qui ondule parfois sous le vent tels les mouvements de l’eau, une barque est remplie d’objets du quotidien en porcelaine blanche ; offrandes laissées au passeur ou reliquats de précédents passagers ? Dans l’ancien four à pain, une scène brodée en blanc sur fond noir représente deux personnages sur une embarcation, l’un debout et l’autre assis, tous deux enveloppés d’une cape cachant leur visage. Une vision dont l’aspect fantomatique est amplifié par le bruit des vagues et que l’on peut lire comme évocatoire du drame humain des migrants, ou ressentir selon l’artiste, « comme un memento mori nous rappelant notre condition de mortels ». À l’intérieur du manoir, l’artiste a disposé cinq autres oeuvres, dont trois bouées noires dégonflées, brodées de fleurs, telles des couronnes mortuaires.

Une Ronde d’œuvres à venir découvrir jusqu’en mars 2024, année qui marquera les 150 ans de l’impressionnisme célébrés par la prochaine édition de « Normandie Impressionniste » (du 22 mars au 22 septembre) qui ambitionne de faire coexister des œuvres impressionnistes incontournables et des œuvres contemporaines. Un nouvel atout pour l’ensemble du territoire « Rouen Seine Normande » (de Giverny au Havre en passant par Rouen) candidat au titre de Capitale européenne de la culture en 2028.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Infos pratiques

Du 15 septembre 2023 au 5 mars 2024
Musée des beaux-Arts/ musée de la Céramique/
Corderie Vallois/ Maison des champs Pierre Corneille
Entrée libre et gratuite
Toutes les infos pratiques sur :
www.musees-rouen-normandie.fr


Visuels :
 Alioune, « Les baigneurs », 2023, 180 x 150 cm, Huile sur toile, (musée des beaux-arts) ©We Art Partners.

 Alioune Diagne, devant la toile « Arrivée des pêcheurs à Cayar », 2002. Huile et acrylique sur toile. Collection particulière, Paris. Courtesy Galery Templon. Salle des Impressionnistes, (musée des beaux-arts). © L’Agora des Arts.

 Natalia Jaime-Cortez, encre sur papier coupé, déchiré, déposé sur tige de métal, 2023, (musée des beaux-arts) © L’Agora des Arts.

 Sandrine Reisdorffer, devant sa vidéo « Véronique ou l’image vraie », (musée des beaux-arts) © L’Agora des Arts.

 Jean-Arneau Filtness, photograme 2, extrait du film « Horla » tourné sur les bords de la Seine à l’occasion de la 6e édition de l’Armada, (musée des beaux-arts) © Jean-Arneau Filtness.

 Jean-Arneau Filtness, Exemple de cubes de verre coloré figurant 80 millions de km3 d’eau imaginaire, (musée de la Céramique) © Jean-Arneau Filtness.

 Baptiste Carluy, « Pas vu, pas pris 2 », Empreintes d’objets, graisse et encre sur toile (musée industriel de la Corderie Vallois).

 Céline Tuloup, « La Traversée du Styx », 2023, (musée Pierre-Corneille) © L’Agora des Arts.

 Céline Tuloup, « Couronne-bouée », 2023, (musée Pierre-Corneille) © L’Agora des Arts.