En cette année 2023 du six-centième anniversaire de la naissance de Louis XI, un périple sur les pas de ce roi « ligérien » nous transporte de sa tendre enfance à sa mort et sa sépulture à travers monuments, expositions et célébrations en Val de Loire.
Dans l’histoire de France aussi les réputations ont la vie dure. Louis XI (1423-1461-1483) a fait longtemps partie des rois malmenés par l’historiographie. Jusqu’à la biographie de l’Américain Paul Murray Kendall, sortie en France en 1974, entreprise de réhabilitation face à la légende noire de « l’universelle araigne », un surnom donné par un chroniqueur bourguignon, forcément peu amène vis-à-vis du roi de France… Alors que les braises des guerres de Cent Ans rougeoient encore et que les princes puissants, ducs de Bourgogne et de Bretagne en tête, continuent à braver le pouvoir royal, Louis XI établit le siège de son pouvoir dans le Val de Loire, une région où il est né et a grandi. Du printemps à l’automne 2023, la région Centre-Val de Loire célèbre le six-centième anniversaire de la naissance d’un roi de France que le grand public pourra ainsi mieux connaître, et reconnaître, dans les sites où il a vécu et gouverné et à travers les expositions qui lui sont consacrées.
Deux ans après sa naissance à Bourges (3 juillet 1423), le petit Dauphin est installé dans la forteresse de Loches. pour plus de sûreté. Bâti au XIVe siècle, à quelques centaines de mètres d’un donjon médiéval, le logis royal est un des lieux de résidence de Charles VII, le père de Louis, qui y rencontra d’ailleurs en 1443 Agnès Sorel, sa future favorite. Ce beau bâtiment d’architecture gothique rayonnant et flamboyant devient le lieu de la prime éducation du Dauphin jusqu’à ce qu’il rejoigne en 1434 sa mère, Marie d’Anjou, et ses sœurs au château d’Amboise. À Loches, le jeune Louis aurait pu croiser Jeanne d’Arc (même si cela n’est pas attesté) venu convaincre Charles de se faire couronner à Reims. À l’occasion de cet anniversaire, un parcours scénographié à travers les salles et les extérieurs, du logis royal au donjon, illustré par de grandes silhouettes colorées dues à l’illustrateur Patrick Dallanegra, retrace les grandes étapes de la vie de Louis XI, surtout de son séjour et de ses autres passages à Loches.
Si le Dauphin a pu considérer son installation à Amboise en 1434, où il rejoint sa mère et ses sœurs, comme une délivrance après ses années d’enfance dans l’ambiance austère et isolée de Loches, Louis n’en fit pas sa demeure de prédilection, lui préférant son château de Plessis-lès-Tours, après son avènement. Très jeune, il participe aux campagnes de son père puis s’occupe de l’administration du Dauphiné avant de s’opposer à son géniteur, jusqu’à vivre ses dernières années d’héritier du trône exilé en terre bourguignonne ! C’est pourtant à Amboise qu’il se marie avec Charlotte de Savoie où elle s’installe avec le Dauphin Charles (futur Charles VIII). Louis rénove et agrandit le château. En 1469, il fonde à Amboise l’Ordre de chevalerie de Saint-Michel. Ce qui a incité pour cette commémoration la Fondation Saint Louis, propriétaire du château d’Amboise, et le musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie à consacrer une importante exposition et un catalogue pionnier (« L’Ordre de Saint-Michel et l’essor du pouvoir royal », 186 pages, éditions Pierre de Taillac, 39 €) à cet ordre rarement évoqué et étudié alors qu’il est un des éléments de l’affirmation du pouvoir de Louis XI et de de sa volonté d’unifier le royaume de France. Une autre exposition concomitante accompagne celle de l’Ordre Saint-Michel ; plus « légère », elle s’intitule « Les aventures de Louis Croix-Bâton à Amboise », une série de dessins grands formats style BD réalisés par Paul Noblet. Sans oublier, jusqu’en août, une visite guidée costumée, « Les confidences de Charlotte de Savoie sur Louis XI, son époux ». De quoi passer quelques bonnes heures à Amboise où plane aussi l’ombre du grand Léonard car, des terrasses du château, on aperçoit le Clos Lucé où est mort le génie italien.
En Touraine, une étape à Tours est inéluctable… D’autant que la présence très régulière de Louis XI dans la cité ligérienne a profondément modifié la vie municipale, économique et même artistique de cette ville devenue capitale éphémère du royaume. À cette époque, la basilique Saint-Martin rayonne sur l’occident chrétien. Il ne reste de l’édifice originel que les tours Charlemagne et de l’Horloge en bordure du quartier du vieux Tours où il est encore possible de cheminer dans quelques rues et de s’arrêter devant quelques maisons de cette période à la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance. Cependant, c’est en quittant le Vieux Tours par l’ouest que se dissimulent les vestiges de la demeure préférée de Louis XI au cours des vingt dernières années de sa vie. Enclave presque secrète dans la commune de La Riche, le parc et le château de Plessis-lès-Tours, achetés par le roi en 1463 (il y meurt le 30 août 1483), provoquent de nos jours une nostalgie d’histoire. Entre Loire et Cher, ce haut-lieu a beaucoup perdu de sa magnificence royale au gré des péripéties de l’histoire nationale jusqu’à devenir un institut de vaccinologie réputé puis un musée municipal au XXe siècle… Depuis 1998, le site est un lieu artistique et culturel, dénommé en 2021 « Le Plessis, tiers lieu-commun culturel et humaniste ». Le six-centième anniversaire y sera célébré comme il se doit, à commencer par le long week-end du 30 juin au 2 juillet où, entre autres, des musiciens contemporains recréeront le requiem polyphonique d’Ockeghem (1420-1497), maître de la chapelle de Charles VII, Louis XI et Charles VIII.
Entre château-fort côté ville et château de plaisance côté parc, Langeais porte encore les marques du passage de Louis XI. Une exposition « Louis XI, roi bâtisseur », installée dans les combles du château rarement ouvertes à la visite, vient rappeler que ce roi acharné à bâtir un royaume à partir de principautés rétives et éparpillées fut aussi un grand ordonnateur de constructions civiles et religieuses. Quelques objets, dessins, reproductions et affiches documentent par ailleurs le destin historiographique d’un roi longtemps caricaturé. De surcroît, le château complètement restauré et remeublé à la fin du XIXe siècle offre une visite très instructive. Notons notamment la reconstitution audiovisuelle du mariage d’Anne de Bretagne et de Charles VIII (1491) avec des personnages de cire et une narration de l’incontournable Stéphane Bern, mais aussi les sept tapisseries du XVIe siècle dans la salle des Preux.
Ultime étape sur les traces de Louis XI, sa sépulture dans la basilique Notre-Dame de Cléry nous rapproche d’Orléans toujours dans ce Val de Loire si cher au cœur du roi. Il est le seul de la dynastie des Valois à ne pas reposer dans la nécropole royale de Saint-Denis. Sa grande dévotion à la Vierge de Cléry, objet de pèlerinage depuis le XIVe siècle, explique que Louis ait poursuivi après son père l’entreprise de reconstruction de la collégiale qu’il fit élever au rang de chapelle royale. Roi nomade, Louis s’arrêtait si fréquemment à Cléry qu’il se fit construire une maison près de l’église (actuelle école Notre-Dame). Louis XI est enterré, ainsi que son épouse Charlotte de Savoie, dans un caveau creusé dans la nef. On peut y voir encore leurs deux crânes. À proximité entre deux piliers s’élève son cénotaphe dominé par une statue qui a remplacé sous Louis XIII la statue originale détruite lors des guerres de religion. Ici aussi, le bienfaiteur de la basilique sera honoré lors d’un week-end de manifestations festives et historiques les 24 et 25 juin 2023.
Au fil de tous ces sites marqués par l’empreinte de Louis XI, et les éclairages scientifiques auxquels donnent lieu cette année commémorative, on ressent ce passage entre deux longues périodes de l’histoire de France, entre Moyen Âge et Renaissance mais aussi entre l’État féodal et l’État royal.
Jean-Michel Masqué
