Théodore Rousseau. De l’art pour la forêt

Tandis que les artistes de sa génération voyagent en Italie pour se former à l’art de l’Antiquité et se confronter aux maîtres de la Renaissance, Théodore Rousseau (1812-1867) préfère sillonner la France, ne souhaitant que peindre la nature pour elle-même et non comme décor pour des scènes mythologiques. Jusqu’au début du 19e siècle, il est en effet inconcevable de présenter au Salon une œuvre représentant la nature pour elle-même, sans être idéalisée. Entre 1830 et 1837, de Fontainebleau au Mont Blanc, en passant par la Normandie, les Landes et l’Auvergne, Rousseau étudie les arbres, les rochers, les sous-bois, les marais.
Déjà dans sa jeunesse, c’est le Bois de Boulogne qui lui a offert ses premiers modèles. À partir de 1847, c’est la forêt de Fontainebleau qui sera sa muse préférée et le petit village de Barbizon son port d’attache où il a transformé une grange en atelier (qui se visite.). Autour de lui, se rassemblent des peintres comme Narcisse Diaz de la Peña, Charles Jacques et Jean-François Millet qui deviendra son ami le plus proche, mais aussi des photographes tels Eugène Cuvelier, Charles Bodmer, Gustave Le Gray. La plupart des artistes, souvent impécunieux, logent à l’Auberge du père Ganne pour un prix -et un confort- modestes. Devenue musée départemental des peintres de Barbizon depuis 1995, elle a conservé tout le charme et l’atmosphère de l’époque, y compris les dessins sur les murs.

À l’époque, Rousseau et ses amis de l’école de Barbizon sont des précurseurs. Ce qui est nouveau, ce n’est pas la pratique du plein air, notamment conseillée dès 1708 dans le traité « Du paysage » de Roger de Piles (1635-1709), c’est que la nature est devenue l’atelier. Il faut pourtant être courageux, car sauf à emporter juste de quoi aquareller, le matériel pour la peinture à l’huile sur toile est lourd à transporter (chevalet, tabouret pliant, boite de couleurs…). Heureusement, les tubes de peinture ont fait leur apparition depuis les années 1820. Peintre acharné, peignant de jour comme de nuit, été comme hiver, Rousseau travaille en plein air puis retouche inlassablement ses œuvres dans l’atelier, parfois pendant plusieurs années, jusqu’à les surcharger, comme s’il n’était jamais satisfait.

Longtemps, tous les tableaux qu’il présente au Salon officiel sont refusés ! Technique trop personnelle et expérimentale entre esquisse et tableau, sujet hors les normes académiques ! Surnommé « le grand refusé », découragé, il n’enverra plus rien pendant des années jusqu’à 1848. Malgré cela, ses tableaux commencent à bien se vendre chez les marchands, et au Salon de 1855, il obtient la médaille d’or. Rousseau est un minutieux dans son style comme dans ses descriptions. Un arbre n’est pas qu’un tronc et des branches, c’est une structure organique, une écorce, des nœuds, des muscles, une âme…Il ne peint pas un arbre, il fait son portrait (Arbre dans la forêt de Fontainebleau, 1840-1849). Rousseau est un romantique qui dit « entendre la voix des arbres » et nous plonge à l’intérieur de la forêt pour qu’on fasse comme lui, corps avec elle. Si certaines toiles paraissent sombres aujourd’hui, c’est en partie à cause de l’utilisation des huiles grasses comme le bitume, ce qui a pour effet de donner des noirs profonds, mais qui, les années passant, assombrissent irrémédiablement le tableau, comme chez Courbet.

Inquiet du carnage des coupes d’arbres centenaires effectuées dans la forêt pour planter des pins rectilignes dans une logique économique, Rousseau, zadiste avant l’heure, se mobilise et obtient de Napoléon III, avec le soutien de nombreux artistes et intellectuels, dont George Sand, la création de la première réserve artistique. Le 13 août 1861, un décret proclame la première mesure de conservation d’un espace naturel au monde en plaçant sous protection plus de 1 000 hectares du bois de Fontainebleau.
L’exposition rassemble près d’une centaine d’œuvres (tableaux, dessins, photographies) venant de grands musées français comme le Louvre et le musée d’Orsay, européens comme le Victoria and Albert museum et la National Gallery de Londres, la Collection Mesdag de La Haye, la Kunsthalle de Hambourg entre autres, ainsi que de collections privées.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 5 mars au 7 juillet 2024
Musée des beaux-arts de la Ville de Paris-Petit Palais
Avenue Winston-Churchill, 75008
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Nocturnes les vendredis et samedis jusqu’à 20h
Tarifs : 12€/10€
Tél. 01 53 43 40 00
www.petitpalais.paris.fr


En écho à la rétrospective « Théodore Rousseau : la voix de la forêt » présentée au Petit Palais, le musée des Peintres de Barbizon consacre une exposition visant à « se souvenir de Théodore Rousseau (1812-1867) », à faire revivre son lieu de vie et de travail et à souligner la force de son œuvre. Du 9 mars au 16 juin 2024.
Lire aussi : https://lagoradesarts.fr/-Barbizon-l-ecole-du-paysage-.html


Visuels :

 Vue de l’exposition Théodore Rousseau, la voix de la forêt.

 Théodore Rousseau, Le Lac de Malbuisson, vers 1831. Huile sur papier montée sur carton. Collection privée.

 Théodore Rousseau, Intérieur de forêt, dit Le Vieux Dormoir du Bas-Bréau (forêt de Fontainebleau). 1836-1837. Huile sur toile, musée d’Orsay. Dépôt du musée du Louvre.

 Théodore Rousseau, Un arbre dans la forêt de Fontainebleau, 1840-1849. Huile sur papier marouflé sur toile, 40,4 x 54,2 cm. Victoria and Albert Museum, Londres.

 Théodore Rousseau, Sortie de forêt à Fontainebleau, soleil couchant, 1848-1850. Huile sur toile. Musée du Louvre.

 Théodore Rousseau, Clairière près du village de Pierrefonds dans la forêt de Compiègne, 1833. Huile sur toile, 51,8 x 73,7 cm. Kunsthalle, Hambourg, Allemagne.

Photos : L’Agora des Arts