Tina Modotti, passion mexicaine

Photographe, militante révolutionnaire et femme libre, Tina Modotti (1896-1942) a vécu des vies multiples et tumultueuses et laisse une œuvre photographique émancipée, engagée et empathique. Cette première rétrospective d’ampleur jamais organisée en France retrace sa vie et met l’accent sur ses années mexicaines.

Couturière, mannequin, puis comédienne dans des films muets à Hollywood, c’est en rencontrant le photographe Edward Weston à Los Angeles aux débuts des années 1920 que Tina Modotti (1896-1942) va découvrir la photographie. La belle et brune italienne, qui a émigrée aux États-Unis en 1913, devient d’abord le modèle du photographe, puis son amante. En 1923, le couple s’installe au Mexique et ouvre un studio. Débute alors officiellement la carrière photographique de Tina Modotti. Dans un premier temps, ses portraits et natures mortes de fleurs portent l’influence de Weston, pionnier de la « straight photography » (photographie pure) qui travaille en quête d’une recherche esthétique proche de l’abstraction. Une autre référence, celle du constructivisme, se fait sentir dans ses photos de câbles télégraphiques, détails d’architecture, mur de tiges de bambou…
Modotti s’en dégage ensuite pour, au contact de la population mexicaine et du milieu artistique post-révolutionnaire mexicain qu’elle fréquente, se radicaliser et se concentrer sur la culture populaire mexicaine et la photographie de rue avec une sensibilité et une empathie qui font écho aux clichés de Dorothea Lange durant la Grande Dépression américaine.

Séparée de Weston, engagée politiquement au Parti communiste et membre du Secours rouge international, elle documente le travail de ses amis muralistes mexicains comme Diego de Rivera et José Clemente Orozco et leurs peintures illustrant la gloire de la révolution mexicaine et des classes sociales qui lui sont associées (prolétaires, paysans). Surtout, armée de son appareil Graflex, elle sillonne les rues et les campagnes, photographiant sur le vif paysans et citoyens dans leur vie modeste et dur labeur : indiens portant des chargements de feuilles de maïs, lavandières, femmes de Tehuantepec portant un jicalpextle (calebasse en argile décorée de motifs phytomorphes), vendeurs de choux…« Je ne cherche pas à produire de l’art mais des photographies honnêtes, sans avoir recours à des truquages ou à des artifices », souligne-t-elle. Certaines de ses photographies sont publiées dans des journaux tel El Machete (journal du PC mexicain) qui s’adresse aux paysans.
Une photographie incarnée qui n’exclut pas des compositions d’œuvres symboliques ou allégoriques comme un gros plan sur des mains de travailleurs, une composition avec faucille, cartouchière et épi ou sa célèbre Femme au drapeau rappelant -en plus apaisée- La Liberté guidant le peuple de Delacroix.
Dans son manifeste photographique publié en 1929, dont la publication coïncide avec son exposition individuelle dans le hall de la Bibliothèque nationale du Mexique, Modotti réfute l’existence d’une imagination créative individuelle et déclare qu’elle ne se considère pas comme une « artiste », mais comme « photographe », métier en accord avec ses idéaux prolétaires. « Savoir si la photographie est un art ou pas importe peu. L’important c’est de distinguer une bonne d’une mauvaise photographie ».

Expulsée du Mexique en 1930 pour son activisme jugé subversif et à la suite de l’assassinat non élucidé de son compagnon l’exilé cubain Julio Mella, en pleine querelle entre trotskystes et staliniens, elle retourne en Europe, puis se rend en Union soviétique qui l’envoie en Espagne pendant la guerre civile. Elle cesse alors de photographier et se consacre jusqu’à l’épuisement à l’aide et au secours des miliciens blessés et des prisonniers politiques et de leurs familles. Retournée à Mexico en 1939 avec son dernier compagnon, l’agent secret et homme politique italien Vittorio Vidali, elle meurt prématurément d’une crise cardiaque en janvier 1942, à l’âge de 45 ans. Sur sa tombe, un poème de Pablo Neruda est gravé : « Tina Modotti, ma sœur, tu ne dors pas, non tu ne dors pas (…). Pure est ton doux nom, pure est ta fragile vie (…)

Rassemblant près de 240 tirages (dont de nombreux petits formats) mais aussi des documents d’archives et revues d’époque issus de prêts de musées internationaux et de collections privées, cette grande exposition fait revivre la carrière unique de cette photographe et militante révolutionnaire qui chroniqua le Mexique des années 1920 à 1930 avec la volonté « d’enregistrer la vie dans tous ses aspects », en tentant d’accorder ambition esthétique et idéal politique.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 13 février au 12 mai 2024
Jeu de Paume
Place de la Concorde – Paris 75001
Tous les jours, sauf lundi, 11h-19h
Nocturne mardi jusqu’à 21h
Tarifs : 12€/9€
www.jeudepaume.org


Visuels :

 Tina Modotti, Femme de Tehuantepec portant un Jucalpextle, 1929. Avec l’aimable autorisation de la galerie Throckmorton fine art, New York.

 Tina Modotti, Câbles télégraphiques, vers 1924-1925. Tirage gélatino-argentique moderne. Museo Nacional de Arte / INBAL, México.

 Tina Modotti, Roses, 1924. Palladiotype, tirage d’époque, 18,7 × 23,4 cm. Collection et archives de la Fundación Televisa, Mexico.

 Tina Modotti, Paysanne zapotèque portant une cruche sur son épaule, 1926. Platinotype, tirage d’époque, 17,5 × 21,2 cm. Collection et archives de la Fundación Televisa, Mexico.

 Tina Modotti, Sans titre (Indiens transportant des chargements de feuilles de maïs pour la préparation des « tamales »), 1926-1929. Tirage gélatino-argentique
8,73 × 7,3 cm. San Francisco Museum of Modern Art.

 Tina Modotti, Mains tenant un manche de pelle / main de travailleur. Vers 1926-1927. Tirage gélatino-argentique. Collection et archives de la Fundación Televisa Mexico.

 Tina Modotti, Femme au drapeau,1927. Palladiotype, tirage réalisé par Richard Benson en 1976, 24,9 × 19,7 cm. The Museum of Modern Art, New York.

 Diego Rivera, L’arsenal, 1928. Sur cette fresque réalisée pour le ministère de l’éducation publique le sujet est la révolution prolétarienne, et plus particulièrement la distribution d’armes aux travailleurs. Diego Rivera a représenté deux femmes en rouge : Frida Kahlo et à droite Tina Modotti.

Photos L’AGORA DES ARTS