Les conversations du Louvre

Visuel livre

Depuis son ouverture en 1793, le Louvre a vu défiler des générations d’artistes qui y ont éduqué leur regard, travaillé avec leurs prédécesseurs en se frottant parfois à eux. Le Louvre a toujours été un des musées préférés de l’historien de l’art, critique d’art contemporain et commissaire d’exposition de nationalités suisse et autrichienne Hans Ulrich Obrist. Un coup de cœur profondément lié à une expérience faite à l’adolescence et nourrie par la lecture d’un livre intitulé Les Dialogues du Louvre (1972), de l’historien de l’art français Pierre Schneider. Celui-ci y décrit ses promenades à travers le musée, au cours desquelles il converse avec onze artistes (Chagall, Sam Francis, Giacometti, Miró, Newman, Riopelle, Soulages, Steinberg, Bram Van Velde, Vieira da Silva, Zao Wou-ki), devant certaines œuvres, confrontant le passé et le présent et soulevant des questions sur le rapport entre l’art et le passage du temps.

À sa suite, pendant plusieurs mois, Hans Ulrich Obrist a cheminé lui aussi au travers des collections, en compagnie de onze autres artistes, de différentes générations : Philippe Parreno, Julien Creuzet, Annette Messager, Lee Ufan, Kader Attia Dominique Gonzalez-Foerster, Barbara Chase-Riboud, Anselm Kiefer, Simone Fattal, Sheila Hicks et Daniel Buren. Chacun y évoque les œuvres qui l’a marqué. Aucune ne ressemble à une autre, toutes proposant des approches, des perceptions et des sensibilités très variées et convoquant des départements et des œuvres qui ne figuraient pas dans le livre de Schneider.

Pour vous donner un petit aperçu, c’est notamment devant le Portrait de la Comtesse del Carpio, marquise de la Solana, de Goya (1794-1795) que Philippe Parreno a fait halte. Parce qu’il adore Goya et car il y voit là un masque mortuaire. La Comtesse, qui se savait très malade, est décédée une fois la peinture achevée.
Enfant, Annette Messager était effrayée par le Louvre où l’emmenait son père architecte. Elle y voyait trop de peintures de massacres, de batailles et de martyrs. Aujourd’hui, elle s’y promène apaisée, s’arrêtant devant ce qu’elle juge « une splendeur », Vénus debout dans un paysage (1re moitié du XVIe siècle), de Cranach l’Ancien, l’un de ses artistes préférés. Une toile étonnante, tout à la fois pudique et érotique.
Parmi les toiles qui ont interpellé Kader Attia, Scènes des massacres de Scio (1824) de Delacroix (massacre des populations grecques de l’île de Scio par l’armée turque en riposte à la proclamation de leur indépendance) représente la violence humaine et politique. Et représenter la violence, selon lui, « c’est aussi une manière pour les artistes de dire ce que les victimes mortes, ne pourront plus jamais dire. Une toile qui entre en résonance avec l’œuvre de Kader Attia qui explore le colonialisme et le concept de réparation. Pour autant, l’artiste ne fait pas de distinction entre des œuvres qui le font réfléchir par la puissance de leurs idées et celles dont la beauté l’émeut, comme la sculpture Vénus de Vienne, dite Aphrodite accroupie (-175/-100). Anselm Kiefer revient régulièrement au Louvre voir les mêmes tableaux, comme les autoportraits de Rembrandt, le portrait de Madame Récamier de David (1800) ou la toute petite aquarelle d’Ernest Meissonier, La Barricade, 1848 (H. 0,26 m ; L. 0,21 m).

Le lecteur peut se demander quelle est la relation entre des artistes contemporains et le Louvre ? Mais c’est oublier que le Louvre a toujours eu vocation a soutenir la création et qu’il invite régulièrement des artistes à produire une œuvre ou un décor pour le Palais. Ainsi le décor Apollon vainqueur du serpent Python a été réalisé par le peintre Eugène Delacroix de son vivant. C’était donc, à l’époque, de l’art contemporain. George Braque a réalisé Les Oiseaux pour un plafond en 1953. François Morellet, les vitraux L’Esprit d’escalier en 2009. Et Anselm Kieffer lui-aussi a été missionné par Le Louvre pour le tableau Athanor (un gisant nu) et la sculpture Danaé (une fleur de Tournesol fanée qui aurait poussé dans une pile de livres). La liste pourrait continuer.

Hans Ulrich Obrist a aussi souhaité montrer dans son livre « combien l’art est un continuum, au sens où les artistes « travaillent avec » en traversant les périodes historiques et en se répondant les uns aux autres ». Les passionnantes conversations retranscrites dans ce livre ne se limitent pas à l’art, elles accordent aussi une place aux perspectives critiques sur les institutions aujourd’hui, et sur le rôle du musée au XXIe siècle.
Une invitation à explorer le Louvre pour voir ou revoir les œuvres évoquées ici, ou d’autres, dans le fourmillement magique du plus grand musée du monde.

Hans Ulrich Obrist
Co-édition Seuil/Musée du Louvre
Octobre 2023
304 pages
20,90€