Une seule œuvre, mais l’œuvre d’une vie ! Le peintre lyonnais Louis Janmot (1814-1892), élève d’Ingres et admirateur de Delacroix, a consacré près de 50 ans de son existence au Poème de l’âme, une œuvre à la fois picturale et littéraire. Constituée d’un ensemble de dix-huit peintures, suivies de seize dessins au fusain, le tout complété de trente-quatre poèmes, elle raconte l’odyssée d’une âme, de l’enfance en quête d’idéal et d’amour, à l’âge adulte habité par la souffrance, le deuil, le doute, la lutte entre le bien et le mal…jusqu’à la mort et la rédemption. Avec des sources d’inspiration que cet artiste très cultivé puise chez Dante (La Divine Comédie), chez John Milton (Le Paradis perdu, illustré notamment par Füssli) ou encore chez Alphonse Lamartine (La Chute d’un ange).
Un voyage initiatique qui entend narrer les difficultés de la condition humaine et du parcours d’une vie, empreint de la spiritualité la plus exacerbée d’un artiste chrétien et conservateur, mais doté d’un romantisme éperdu et d’un fabuleux talent de dessinateur au tracé raffiné, ingresque. Toute son œuvre se déroule comme une série de scènes de théâtre avec ses personnages androgynes vêtus de voile léger aux couleurs virginales, sur des fonds qui accordent une grande place au paysage ; celui des bords du Tibre visités lors d’un séjour à Rome, puis du Bugey, région au nord-est de Lyon. Chaque détail du paysage venant renforcer la quiétude ou la tragédie de la composition : une verte vallée fleurie, une forêt profonde avec un arbre brisé, des rochers escarpés…La musicalité des vers associés aux scènes visuelles mobilisant aussi l’ouï du spectateur. Malgré les bonnes critiques de Charles Baudelaire et de Théophile Gautier, l’audience du Poème de l’âme est mesurée du vivant de l’artiste ; son vocabulaire plastique et son message apparaissent en décalage avec l’évolution du goût de ses contemporains.
Incompris, oublié, Louis Janmot est redécouvert au cours du XXe siècle. Conservée dans son intégralité au musée des beaux-arts de Lyon, son œuvre singulière fait écho à celle d’autres artistes qui ont exploré toutes les variations du rêve, à la fois mélancolique, mystique, sensuel, cauchemardesque, tels que William Blake, Francisco de Goya, mais aussi les Préraphaélites et plus tard des Symbolistes comme Odilon Redon. Exposé au musée d’Orsay (du 12 septembre 2023 au 7 janvier 2024), Le Poème de l’âme de Louis Janmot fait l’objet d’un très beau livre – catalogue de l’exposition dans lequel chaque peinture et dessin bénéficie d’une double-page avec illustration, long texte explicatif et extrait du poème. Il est enrichi de plusieurs essais éclairant la vie d’un artiste à l’œuvre d’art totale, un des sommets de la peinture spirituelle et romantique.
