Cérès FRANCO - Collectionneuse

À la question, combien d’œuvres dans votre collection ? Cérès Franco avance : « 1500 à 2000 », ses grands yeux bruns pétillant de fierté. En réalité, peu lui importe. Cette femme, habitée par la peinture au milieu de laquelle elle vit, ne compte pas. Elle a confié à d’autres la rédaction du catalogue raisonné de son incroyable collection : « toute ma vie », dit-elle. Collectionneuse et ancienne galeriste de l’Œil-de bœuf, Cérès Franco (Cérès Borba Farinha, dite Cérès Franco) a consacré sa vie à défendre les œuvres de dizaines d’artistes contemporains et parle de leur travail avec gourmandise, évoquant avec chaleur chacune des rencontres, se remémorant avec force détails toutes les expositions qu’elle a organisées durant près de quarante ans. Elle qui faillit un jour tout vendre pour pouvoir s’acheter un merveilleux Picabia, peut passer des heures à vous parler devant des toiles de Taillander, Pouget, Chaïbia, Aïni, Chabaud, Bilweis, Flatau, Grinberg, Hadad, Rustin, Nitkowski qui sur les conseils de Jean Dubuffet à rencontré Cérès qui va être fascinée par la poésie et la violence de l’œuvre de ce peintre cloué sur un fauteuil roulant depuis l’âge de 23 ans. Ou encore Corneille, artiste du groupe Cobra dont elle fut très proche, et surtout Macréau, figure de proue de sa collection. Tant d’autres encore.

Désirs bruts

Des artistes qu’elle a découverts au début des années 1960 et dont les œuvres figuratives à contre-courant de ce qu’elle nomme avec irritation « la dictature de l’art des idées », ont séduit le regard de cette brésilienne à la belle personnalité et au franc-parler, venue s’installer à Paris en 1951, à 24 ans.
Peu prisés alors (aujourd’hui exposés dans de prestigieuses institutions…), ils sont majoritairement proches d’un art spontané, naïf, brut, hors les normes, (Cérès Franco déteste le terme d’art singulier), ou se réclament d’une nouvelle figuration qui renoue avec cet expressionnisme qui la fait vibrer. Ils ont en commun un imaginaire débridé, sombre ou joyeux, mais toujours puissamment coloré. Beaucoup ont du mal à joindre les deux bouts, comme Wilson Tibério, peintre afro-brésilien à la figuration expressionniste et sociale, auquel elle apporte régulièrement de la nourriture et du charbon, et à qui elle achète la première œuvre de ce qui va devenir une collection.

L’Œil-de-bœuf

Historienne de l’art, formée à la Columbia University et à la New School à New York, Cérès Franco a commencé par écrire des articles pour la presse brésilienne, avant d’organiser des expositions, d’abord comme commissaire indépendante. La première, présentée rue de Seine en mai 1962, réunit vingt-deux artistes. La seconde, rue de Miromesnil en regroupe cent quatre-vingt ! Entre-temps, grâce à des prêts d’artistes ou de galeries, elle a réussi l’exploit de montrer au bowling du Bois de Boulogne des sculptures de Picasso, Ernst, Takis, Dodeigne, Arp, César , Germaine Richier, Marc Boussac, Etienne Martin, etc, obtenant même que Cocteau lui préface le catalogue de cette exposition « Formes et magies ». Elle est aussi invitée à montrer un groupe d’artistes, dont Macréau, à la Biennale de Sao Paulo en septembre 1963. Reconnue pour son audace, son indépendance d’esprit et la qualité de ses expositions, Cérès Franco s’est fait un nom. Elle va bientôt faire adouber celui de sa galerie : l’Œil-de-bœuf, qu’elle ouvre en 1972, 58 rue Quincampoix, à deux pas du futur Centre Pompidou. Un nom lié à sa première exposition en 1962 où, suivant son idée, les artistes ne présentèrent que des toiles rondes ou ovales, bouleversant leur a priori.
À partir de cette année là, elle se met à acheter frénétiquement ce qu’elle aime, enrichissant une collection déjà foisonnante et engagée, chinant aussi toutes sortes d’objets dans les brocantes et lors de ses nombreux voyages au Brésil, au Mexique, au Maroc, en Espagne : ex-voto brésiliens, sculptures et masques africains, statuettes religieuses… Cérès Franco reçoit aussi de nombreuses toiles en cadeau, comme ce visage caché par deux mains de Rustin, une huile que le peintre lui a offerte pour ses 80 ans.

La Collection au musée

Que faire de plus de 1500 toiles, toutes de « première main » ? Les donner à voir pardi ! Continuer à faire connaître et à défendre ces artistes atypiques et leurs œuvres pleines de rêves, de messages visionnaires et d’émotions. Pour cela, Cérès Franco achète une grande maison à Lagrasse dans l’Aude, en 1994. Puis une seconde en 2001. Entre temps, elle a fermé l’Œil-de-bœuf en 1997. Depuis 2015, l’ancienne coopérative viticole de Montolieu, transformée en 2008 en centre d’art, est devenue un lieu dédié à la présentation de la Collection Cérès Franco.

Texte : Catherine Rigollet (mars-avril 2015)
Photographies : Lionel Pagès

Cérès Franco avec un tableau de Macréau

Cérès Franco avec un tableau de Macréau

Oeuvres Collection Cérès Franco

Oeuvres Collection Cérès Franco

Stani Nitkowski, 1991

Stani Nitkowski, 1991

J. Rustin. Offert à Cérès pour ses 80 ans

J. Rustin. Offert à Cérès pour ses 80 ans

Cérès Franco devant une huile de J. Grinberg

Cérès Franco devant une huile de J. Grinberg
Infos pratiques

L’ancienne coopérative viticole de Montolieu, transformée en 2008 en centre d’art, est devenue en 2015 un lieu dédié à la présentation de la Collection Cérès Franco, d’avril à novembre.
www.lacooperative-collectionceresfranco.com


Ceres Franco est décédée le mardi 16 novembre 2021 à 95 ans.


 On peut découvrir l’itinéraire de cette femme rebelle et passionnée, dans « Cérès Franco, parcours d’une femme atypique », passionnant film documentaire que la cinéaste Clémence Hardouin a consacré en 2015 à sa grand-mère Cérès. Un regard sobre, intime et touchant.
(52 minutes. Senso Films).