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21 rue La Boétie : Picasso, Matisse, Braque, Léger…

Une histoire personnelle, l’histoire de l’art et la grande histoire. Un hommage à Paul Rosenberg (1881-1959), marchand d’art juif, contemporain de Kahnweiler, Berthe Weill ou Durand-Ruel, qui put heureusement échapper avec sa famille aux horreurs du régime nazi même s’il dut y laisser sa nationalité française et de nombreuses œuvres. Tel est le thème de cette exposition dont l’origine est le livre éponyme de sa petite-fille, la journaliste Anne Sinclair, présente ici dans un gracieux portrait à l’âge de quatre ans par Marie Laurencin.

Entrons au 21 rue La Boétie. La scénographie permet de plonger dans l’intimité du galeriste : photos de son intérieur, portraits des membres de sa famille avant de s’élargir à son travail de dénicheur de talents et de conseiller-vendeur plus qu’avisé. Sa méthode ? Choisir les meilleurs artistes (Picasso, Braque, Laurencin, Léger et Matisse furent les plus beaux fleurons de son écurie) ; répertorier soigneusement les œuvres et leurs mouvements (ce qui lui permit d’en récupérer quelques unes plus facilement) ; et exposer le plus souvent possible au 21 rue La Boétie, sa galerie fondée en 1910. On y verra émerger l’art moderne européen auquel il croit dur comme fer au grand dam du public riant devant ces “barbouillages”, comme en atteste la soixantaine d’œuvres, prêtées pour l’exposition par des musées et collections privées du monde entier. Fin marchand, il offre également des toiles du 19e siècle à un public en mal de classicisme. Ses affaires sont donc des plus prospères lorsque le nazisme arrive au pouvoir, organisant, très vite l’exposition d’art dégénéré de Munich en 1937 et la vente d’œuvres spoliées à Lucerne en 1939. En 1940, Rosenberg s’enfuit à New York avec femme et enfant, et y ouvre une galerie. À Paris les nazis déportent les juifs, pillent les œuvres d’art dans les musées et chez les particuliers, et transforment le 21 rue La Boétie en siège de l’infamant Institut d’Études des Questions Juives.

La première partie de l’exposition est dédiée aux œuvres qui passèrent, à un moment ou à un autre, entre les mains du galeriste à Paris ou à New York ou qui furent, un temps, sur les murs de dirigeants allemands tels Göring : Trois femmes, le grand déjeuner, 1921-22 de Léger, actuellement au MoMA de New York ; des natures mortes cubistes de Picasso et de Braque ; et plusieurs exemples de la peinture pastellisée, éthérée de Marie Laurencin, muse d’Apollinaire, dont La répétition (Groupe de femmes), 1936. La comparaison que l’on peut faire avec les œuvres “non dégénérées” allemandes de la deuxième partie ne laisse aucun doute sur ce qu’aurait été le conformisme et l’académisme d’un art régenté par les nazis, illustré par la juxtaposition d’une scène de chevaux de Paul Junghanns, peintre avalisé par les nazis, et du cheval bleu azur (Chevaux au pâturage, 1910) de Franz Marc.
De retour en France après la fin du conflit, Rosenberg se lance dans la récupération de ses œuvres. La plus récente restitution à la famille, Femme assise de Matisse, retrouvée en 2012 chez le fils d’un important marchand allemand du IIIe Reich mandaté pour écouler les biens spoliés, est présente dans l’exposition.

On ne sait ce qui, des œuvres exposées, ou de la trajectoire de Paul Rosenberg, retient le plus. Regarderait-on avec le même intérêt les toiles si l’on ne savait le sort de celui qui les possédait ? Les commissaires ont su tirer le meilleur parti de cette symbiose pour passionner le spectateur.

Elisabeth Hopkins

 Catalogue 280 pages, co-édition Culturespaces et Hazan, 150 illustrations. 30 euros.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 2 mars au 23 juillet 2017
Musée Maillol
59/61 rue de Grenelle - 75007 Paris
Ouvert tous les jours, de 10h30 à 18h30
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h30
Plein tarif : 13€
www.museemaillol.com

 

Visuels page expo : Georges Braque (18821963), Fruits sur une nappe, 1924, Huile sur toile, 31,5 x 65,5 cm, Fondation Collection E.G. Bührle, Zurich. © ADAGP, Paris, 2016 © Fondation Collection E. G. Bührle, Zurich.
Henri Matisse (1869-1954), La leçon de piano, 1923, Huile sur toile, 65 x 81 cm, Collection particulière.© Succession H. Matisse.
Pablo Picasso (1881-1973), Baigneur et baigneuses (Trois baignants), 1920-1921, Huile sur toile, 54 x 81 cm. Collection David Nahmad, Monaco. © Succession Picasso © Photo : Collection David Nahmad, Monaco
Visuel vignette : Marie Laurencin (1883-1956), Anne Sinclair à l’âge de quatre ans (détail), 1952, Huile sur toile, 27 x 22 cm, Collection particulière. © Fondation Foujita / ADAGP, Paris, 2016.