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Adel Abdessemed. L’Antidote

Il aura fallu plus de 35 tonnes d’argile, vingt personnes dont douze Chinois maîtrisant l’art de la statuaire pour (ré)installer Shams, une œuvre monumentale déployée dans une salle de 260m2 du musée d’art contemporain de Lyon. « Mais l’œuvre n’est pas dans l’exploit, souligne Thierry Raspail, directeur du mac, c’est le fil rouge de l’œuvre d’Adel Abdessemed". Présentée pour la première fois à Doha en 2013, dans un format plus modeste, Shams (trompe-l’œil ou simulacre en anglais, mais aussi canicule en arabe) fait pénétrer le visiteur dans un chantier de glaise et de poussière au milieu d’une foule de forçats, maçons ou mineurs (grandeur nature) écrasés par leur fardeau et gardés par des hommes armés. On sentirait presque la sueur de ces damnés de la terre si ce n’est l’odeur humide de la terre qui sèche petit à petit et se craquelle déjà, signe du retour à la poussière de cette œuvre de souffrance, ode à la condition humaine inspirée par les conditions des travailleurs migrants au Qatar, et par le chef d’œuvre de Delacroix, Dante et Virgile aux enfers (1822). Une œuvre éphémère qu’il faudra reconstruire à chaque fois qu’elle sera installée.

Né en 1971 à Constantine (Algérie), Adel Abdessemed, qui vit et travaille à Paris et Londres, a connu les « années de sang » et la jeunesse qui se désespère dans son pays d’origine. Pour lui, « l’art était la seule porte de sortie ». Depuis, il se considère comme un passeur, un artiste qui fait de l’art un antidote à la brutalité du présent, sans doute aussi son oxygène à lui, artiste, devant s’interroger sur son rôle dans ces époques troublées par les conflits. S’inspirant de ce qu’il vit, voit, pour lequel il vibre ou vitupère, il n’hésite pas à répondre à la violence du monde par la violence de ses œuvres « coup de poing », avec de la glaise, des barbelés, du feu, de la sueur et des larmes...sans craindre de défier les tabous, de provoquer, de heurter les esprits.

C’est un pigeon porteur de dynamite, la vidéo d’un pied écrasant une ampoule et la faisant bruyamment exploser, une vidéo de l’artiste transpercé par une lance, comme Cocteau par Minerve dans son film Le Testament d’Orphée, ou encore des poulets suspendus qui flambent. Cette vidéo Printemps (2013) est à la fois une référence aux Printemps arabes, et une allégorie de toutes les violences, notamment celles infligées aux animaux. Oui mais voilà, si l’artiste nous explique que cette vidéo a été réalisée au Maroc avec une équipe de techniciens créateurs d’effets spéciaux pour le cinéma avec un produit qui crée des effets de flammes sans danger (Adel Abdessemed a utilisé sur lui-même ce produit pour son œuvre Je suis innocent), le choc visuel est garanti pour le visiteur non averti et on s’interroge tout de même sur le stress subi par les volatiles. D’ailleurs, la polémique a vite enflé et quelques jours après le début de l’exposition L’Antidote, qui réunit au musée d’art contemporain de Lyon une quarantaine d’œuvres, Adel Abdessemed et le musée ont pris la décision de retirer la vidéo controversée.

Si Adel Abdessemed perçoit l’art comme une expérience vitale, de salut de soi et du monde, un Antidote à la brutalité du présent, du nom du bar lyonnais où l’artiste, alors étudiant à l’ENSBA Lyon a rencontré Julie, sa future femme et mère de ses cinq enfants, figure centrale de son œuvre et de sa vie, il en fait aussi un outil pour parler de la poésie du monde. Parmi la quarantaine d’œuvres récentes et souvent inédites exposées, on trouve donc plusieurs petits camions transportant : une immense jarre, la lumière d’un néon, des tableaux, de la verdure…Des véhicules « porteurs de la vie et du merveilleux dans la ville », selon l’artiste. On verra aussi Is beautiful (2017), un groupe sculpté en marbre blanc de jeunes femmes dans leur vérité nue, dont Angela Merkel (du temps de sa jeunesse en RDA où elle participait à des activités naturistes). Un écho à Passé simple, sa toute première œuvre créée en 1997, lorsqu’il était encore étudiant ; une vidéo (projetée dans l’exposition) dans laquelle des hommes et femmes nus dansent sur la table d’un café populaire à la manière d’une cérémonie panthéiste libre et joyeuse.

Catherine Rigollet

Visuels : Adel Abdessemed, Shams, détails de l’installation à Lyon, 2018. Photo L’Agora des arts, 8 mars 2018.
Adel Abdessemed, Printemps, 2013, vidéo couleur, son stéréo. Durée 19’’ en boucle (retirée de l’exposition le 14 mars). Photo l’Agora des Arts, 8 mars 2018.
Adel Abdessemed, Pigeon, 2015. Craie noire sur papier, 260 x 368 cm. Photo l’Agora des arts, 8 mars 2018.

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 9 mars au 8 juillet 2018
Musée d’art contemporain
81, quai Charles de Gaulle – 69006 Lyon
Du mercredi au dimanche, de 11h à 18h
Plein tarif : 8€
www.mac-lyon.com

 


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