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Jawlensky. La promesse du visage

Après son accrochage à Madrid (Fundación MAPFRE) puis à Marseille (musée Cantini), l’exposition « Alexej Jawlensky. La promesse du visage » se déploie en cet hiver 2021-2022 à La Piscine, le musée d’art et d’industrie de Roubaix à l’occasion des vingt ans de cette institution qui a bouleversé le paysage culturel dans les Hauts-de-France. Très peu connu en France, alors que les États-Unis, l’Allemagne et la Suisse - le peintre d’origine russe ayant successivement vécu dans ces deux derniers pays - célèbrent depuis longtemps Jawlensky (1864-1941) comme « un autre visage de la modernité », sans en être devenu pour autant un des chefs de file malgré son amitié avec Kandinsky. Il est donc très exaltant de découvrir, pour la plupart d’entre nous, cette œuvre singulière et éclatante dans ce parcours chronologique, des premières années de Munich et Murnau aux ultimes natures mortes et « Méditations » sur le visage, établi avec grand soin par Itzhak Goldberg, historien d’art et commissaire d’exposition, éminent spécialiste du peintre russe.

Jawlensky peut être considéré comme un peintre de « l’entre-deux », ce qui expliquerait aussi pourquoi il est resté quelque peu insaisissable pour la critique et l’histoire de l’art de la seconde moitié du XXe siècle. Entre expressionnisme et fauvisme, entre figuration et abstraction, Jawlensky en exprime une synthèse originale qui l’a empêché d’être facilement catalogué et justement considéré.
L’exposition montre aussi une évidente évolution de sa démarche esthétique, déjà sensible sur deux autoportraits, le premier en 1904 sous « influence Van Gogh », le second en 1912 sous « influence fauve » (section « Premières années : Munich et Murnau). En simplifiant à l’extrême, on pourrait résumer la démarche de l’artiste à trois caractéristiques principales : la couleur, la série, le visage (*). Même si sa première série « Variations » (1914-1920) est fondée sur un paysage (Variation : Le chemin, Mère de toutes les variations, 1914) et que, de ses débuts à la fin de sa production, Jawlensky ne cessa de peindre aussi des natures mortes. Cependant, de 1917 aux dernières années de sa vie, le visage est devenu son sujet de prédilection, un visage qui passe par une succession de métamorphoses, du portrait au visage, du visage à la face, de la face au masque et à l’icône. Car le caractère sacré de la peinture de cet artiste russe orthodoxe se fait de plus en plus prégnante : « Après avoir peint ces variations pendant quelques années, j’éprouvais le besoin de trouver une forme pour le visage, car j’avais compris que la grande peinture n’était possible qu’en ayant un sentiment religieux », écrit-il en 1938 à son correspondant le moine Verkade.

Ainsi, se dévoilent au fil des sections de l’exposition des « têtes mystiques et faces de sauveur », des « têtes géométriques ou têtes abstraites » et des « méditations », ces dernières toiles de petit format étant encore une variation sur le visage qui fusionne avec la croix et l’icône. « Elles ont atteint, écrit Jawlensky à leur propos, un degré de profondeur et de spiritualité, communiquant uniquement par la couleur. » L’accrochage de ces « Méditations » dans une même salle est particulièrement réussi qui leur donne un aspect d’apparitions, condensation de la spiritualité du peintre. Cette déconstruction du visage, néanmoins toujours plus ou moins perceptible entre figuration et abstraction, demeure sans doute ce qui fascine le plus chez Jawlensky faisant de ce peintre, traversé par les courants artistiques de son époque tout en restant à l’écart, l’inventeur du « visage abstrait », magnifique oxymore pictural. Quant à son talent de coloriste, à sa puissance chromatique, ils frappent tout au long de son œuvre et des tableaux exposés à Roubaix.
Comme contrepoint contemporain à l’exposition Jawlensky, La Piscine montre deux séries d’artistes ancrés dans le Nord, Marc Ronet (1937) et Hervé Jamen (1959). Un beau parcours illuminé par la force de Jawlensky enfin dévoilé au public français dans toute son étendue.

Jean-Michel Masqué

(*) On appréciera les analyses subtiles et érudites, notamment celle sur le visage de Goldberg, contenues dans l’excellent catalogue de l’exposition (éd. Fundación MAPFRE et Gallimard, 29 euros).

Visuels : Alexej von Jawlensky, Tête abstraite : Karma, 1933, huile sur carton collé sur bois, 42,6 x 33 cm. Collection particulière. Photographie : Alexej von Jawlensky-Archiv S.A., Muralto.
Alexej von Jawlensky, Variation : Le Chemin, Lère de toutes les variations (1914). Huile sur papier à texture de lin collé sur carton, 36,2 x 27,2 cm. Collection particulière. Photographie : Alexej von Jawlensky-Archiv S.A.,Muralto/ Switzerland.
Alexej von Jawlensky, Tête de femme « Méduse » (Ombre et Lumière), 1923. Huile sur carton, 42 x 31 cm. Musée des Beaux-Arts Lyon. Photographie : RMN-Grand Palais/René-Gabriel Ojéda.
Alexej von Jawlensky, Autoportrait avec haut-de-forme (1904). Huile sur toile, 56,4 × 46,6 cm. Collection particulière. Photographie : Alexej von Jawlensky-Archiv S.A.,Muralto/ Switzerland.


 En dehors de la rétrospective Jawlensky, cette saison « La Piscine a 20 ans !  » se décline en quatre séquences dans les autres espaces du musée dont le point de départ est la « Petite Châtelaine » de Camille Claudel. Dans les cabines de bain devenus « cabines de curiosité » sont montrées des pièces sorties des réserves dans un joyeux accrochage baroque. À l’honneur aussi la culture populaire roubaisienne, dont les étonnants multi-instruments « Jazz bands Blomme », tandis qu’une salle de contextualisation historique resitue le musée dans son territoire. Deux autres expositions temporaires finissent de plonger le visiteur dans La Piscine pour une journée au moins : l’artiste allemande installée à Paris Susanne Hay (1962-2004) et le céramiste grand maître du céladon Jean-François Fouilhoux (1947) qui présente son nouveau « Chant de la terre ».

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 6 novembre au 6 février 2022
La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent
23, rue de l’Espérance, Roubaix (Nord)
Du mardi au vendredi de 11h à 18h (nocturne le vendredi jusqu’à 20h)
Les samedi et dimanche de 13h à 18h
Fermé les jours fériés
03 20 69 23 60
Plein tarif : 11 €
www.roubaix-lapiscine.com