Vous consultez une archive !

Antoni Tàpies. Rétrospective

À l’occasion du centenaire de la naissance d’Antoni Tàpies (1923-2012), Bozar-Bruxelles présente un panorama complet de son œuvre avec plus de 120 peintures, dessins et sculptures et un retour sur ses débuts figuratifs.

On l’oublie ou l’ignore tant sa période la plus connue, celle matiériste et informelle domine son œuvre, mais le peintre espagnol Antoni Tàpies fut brièvement figuratif, puis influencé par le surréalisme avant de développer sa technique de trituration et d’empâtements avec adjonction d’objets expérimentée en 1945.
Organisée par le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia (Madrid) en collaboration avec Bozar (Bruxelles) et la Fundació Antoni Tàpies, la rétrospective ouvre sur ses autoportraits. Réalisés au début de sa carrière, ils se démarquent nettement du dessin académique et dénotent l’influence de références comme Henri Matisse ou Pablo Picasso. On regardera avec attention celui de 1950 avec cette croix en guise du T de Tàpies sur un petit papier montré du doigt par l’artiste. La croix est un signe d’identité lié à l’initiale de son nom de famille, que Tàpies utilisera régulièrement dans ses tableaux.

Laissant derrière lui une courte période d’iconographie surréaliste et dadaïste, Tàpies se met à produire des toiles aux textures intenses où apparaissent déjà les motifs et techniques (symboles, performations, incisions) que l’on va retrouver tout au long de son œuvre.
Au fil des vastes salles du musée, ses toiles -souvent monumentales- aux tonalités d’ocre, de gris et de brun, intègrent progressivement au cours des décennies des matériaux bruts, taches et signes qui évoquent ceux de Miró dont il ne cache pas l’influence. Ses « murs » (tàpies en catalan) comme il les nomme se couvrent de papier, carton, bouts de ficelle suggérant que la beauté peut se trouver dans ce qui est insignifiant. Puis d’autres matériaux font leur apparition, tels que latex, émulsions, goudrons…et de signes graphiques et symboliques (croix toujours, triangles, cercles, pieds…) qui renvoient à des références archéologiques, mystiques ou historiques. Ses œuvres matérialistes se composent parfois d’association d’objets du quotidien, usagés, amplifiant la notion d’un réalisme à la Marcel Duchamp, comme ce panier à œufs sur lequel repose un journal (Ouera i diari, 1970).

On est donc bien loin d’une unique quête de matière, mais d’une peinture philosophique, évocatrice, sobre, austère aussi, d’un artiste tourné vers le monde qui l’entoure, engagé, qui revendique notamment son appartenance à la Catalogne, à son histoire intimement liée à celle de l’Espagne touchée par la guerre et le franquisme contre lequel il lutta, en citoyen républicain comme en artiste. Deux toiles sont les témoins de cet engagement : A la memoria de Salvador Puig Antich, en mémoire d’un jeune anarchiste exécuté en 1974 et Caixa de la camisa roja (Boite de la chemise rouge), allusion poignante à l’indépendantiste catalan Lluis Companys, torturé et fusillé en 1940.
Dans les années 1980, l’incorporation de vernis apporte des transparences, des aléas, des reflets dorés aux toiles, comme du miel, de la poésie et témoigne d’une incessante quête d’expérimentation formelle, renforcée par un intérêt pour la spiritualité orientale (série Celebració de la mel). Des toiles particulièrement envoutantes et séductrices.

Puis pendant les deux dernières années de sa vie, son travail s’imprègne d’une certaine mélancolie, sans doute due à la maladie, à la douleur et à une réflexion sur la mort, la sienne et celle qui revient sans cesse dans l’actualité comme en 1995 quand, consterné par l’épuration ethnique en Bosnie, il peint Dukkha avec une grande croix et une prothèse de jambe, traduisant tout à la fois la souffrance, le vide, et sa désillusion.
La dernière salle opère un retour dans le temps en dévoilant un Tàpies intime avec une série dédiée à sa femme Teresa Barba ; des œuvres sur papier réalisées en 1966, empreintes d’émotion intérieure, parfois d’érotisme.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 15 septembre 2023 au 7 janvier 2024
Palais des Beaux-Arts (Bozar)
Rue Ravenstein 23 – Bruxelles
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Fermé le lundi
Tarif standard : 16€
www.bozar.be


 À voir aussi à Bozar : « L’avant-garde en Géorgie, 1900-1936 » (jusqu’au 14 janvier 2024).


Visuels :

 Antoni Tàpies, Autoportrait, 1950. Huile sur toile. Museo regional de arte moderno, Cartagena, Murcia.

 Antoni Tàpies, Grand ovale. Technique mixte sur toile. Museo de bellas artes de Bilbao.

 Antoni Tàpies, Boite de la chemise rouge, 1972. Assemblage sur bois. Sylvie Baltazar-Eon-collection.

 Antoni Tàpies, Tête et vernis, 1990. Peinture vernis et crayon sur toile. Barbara Lambrecht Chadeberg, collection Museum fur gegenwartskunst-Siegen.

 Antoni Tàpies, Langue, 1992. Technique mixte sur bois. Private collection -Barcelona.

 Vue de la Série « À Teresa ».

Photos : L’Agora des Arts, 26 octobre 2023.