Figure majeure de la scène artistique contemporaine autrichienne, Arnulf Rainer s’est d’abord intéressé à sa propre image, avec des autoportraits photographiques rageusement raturés. Boulimique d’images, hanté par la peur du vide, il a étendu son champ d’intervention aux oeuvres d’artistes, n’hésitant pas à s’emparer de celles de maîtres anciens ou modernes qu’il admire tels Corot, Friedrich, Rembrandt, Redon, Van Gogh, Vinci et surtout Victor Hugo, son grand favori. À partir de reproductions (photographies, photocopies, pages de livres directement arrachées…), il commence à travailler à partir des dessins de l’écrivain-poète, les recouvrant de peinture, de traits, grattant, gommant, toujours de manière physique et violente, expressionniste. Il agrandit des détails, inverse certaines images, accompagne et transforme le geste de l’artiste qui a précédé le sien. Cette appropriation de l’image, souvent irrévérencieuse voire iconoclaste, cet élan dialectique « contre » une autre peinture est aussi une tentative de désacralisation et une chasse aux fantômes présents pour lui dans chaque image.
La Maison de Victor Hugo a choisi une soixantaine de « surdessins » qui sont présentés aux côtés de certaines des oeuvres « source » de Victor Hugo appartenant au très riche fonds du musée. D’autres dessins de Hugo dialoguent avec des oeuvres de Rainer, très graphiques et colorées malgré le constant sentiment d’angoisse qui s’en échappe. Afin d’appréhender le travail de l’artiste dans sa diversité, d’en restituer l’identité profonde et la richesse, cet ensemble est largement complété d’une quarantaine d’oeuvres provenant d’autres séries participant de cette même démarche : autoportraits de Rembrandt et de Van Gogh, figures énigmatiques d’Odilon Redon, paysages de Friedrich et de Corot, tous surpeints par Rainer. En fin de parcours, une interview filmée de Rainer le montre « au travail » dans son atelier et permet de sonder un peu cet artiste torturé, pour qui la vie sans la peinture n’a aucun intérêt.
C.R