Dans l’espace à la fois monumental et intime du Carré Sainte-Anne, église néogothique désacralisée au cœur de Montpellier, l’œuvre de Carole Benzaken, inspirée notamment du livre biblique et prophétique d’Ézéchiel, joue avec la lumière des lieux et avec les mots de la tradition. Dixième lettre de l’alphabet hébreu, Yod est aussi le nom donné à la structure centrale de l’exposition qui magnifie la forme de la lettre et abrite l’installation Saviv saviv, un ensemble de 15 cuves lumineuses composées de dessins inclus dans du verre feuilleté. Ces cuves sont rétro-éclairées et programmées pour jouer sur l’intensité lumineuse, produisant ainsi plusieurs « mélodies de lumière ». Les dessins sont des branches, des vaisseaux sanguins, symboles de transformation, de mutation, de migration de la mort à la vie, comme ces os desséchés qui reprennent vie chez Ézéchiel : « Mon peuple, voici, je vais ouvrir vos sépulcres et je vous tirerai hors de vos sépulcres. » (Éz 37, 12). Car Yod, où déambule le visiteur intrigué et curieux, est un passage entre l’intime et l’universel, la réflexion personnelle de l’artiste et la mémoire collective des traumatismes de l’histoire.
De part et d’autre de la structure Yod, deux autres œuvres ponctuent le parcours, comme d’autres nervures, d’autres promesses de résurrection : Magnolias (encre de chine et crayons, feuilleté sur verre) et Strange Fruit 2 (verre peint), ce dernier tableau étant inspiré de la célèbre chanson interprétée par Billie Holliday qui évoquait la pendaison des noirs aux États-Unis envisagée comme un spectacle.
Carole Benzaken (née en 1964 à Grenoble – Prix Marcel Duchamp en 2004) travaille sur ces thèmes depuis 2009 dont l’exposition montpelliéraine constitue une synthèse. « De même que les grands textes fondateurs de l’Ancien Testament, les mystères de la lumière et de l’apparition, les questions de vibration, de métamorphose et de perception sont au cœur de l’œuvre et de la réflexion de Carole Benzaken », analyse Numa Hambursin, commissaire de l’exposition et directeur artistique du Carré Sainte-Anne.
Jean-Michel Masqué
Visuels : Carole Benzaken, Saviv Saviv, 2015 -® Photo David Bordes.
Carole Benzaken, Yod, 2015 © SCHEMAA Architectes.