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Cézanne, le chant de la terre

Pour Cézanne, il n’y avait qu’un seul maître : la nature. Riche d’une centaine d’œuvres, l’exposition à la Fondation Pierre Gianadda révèle l’amour que Cézanne portait à cette nature, notamment celle de Provence. Elle met en lumière les innovations de la peinture du Maître d’Aix pour rendre au plus juste sa perception du motif et ses sensations.

Imagine-t-on Cézanne « solitaire bougon » ? Il l’était s’amuse Daniel Marchesseau, commissaire de l’exposition Cézanne Le chant de la terre à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny (Suisse), précisant que l’artiste qui vivait au rythme des saisons et accentuait son accent provençal cachait aussi un grand érudit. Mais au fait, Cézanne ou Cezanne ? Pour François Chédeville, cofondateur de la société Paul Cezanne, comme pour Philippe Cezanne, arrière petit-fils du peintre : pas d’accent ! L’artiste n’en mettait pas et l’orthographe originelle de ce nom provençal n’en porte pas. Toutefois, la graphie française finit par l’imposer…donc acte.

De ses peintures du début des années 1860, à son dernier paysage provençal, le Cabanon de Jourdan, peint en 1906, quelques semaines avant sa mort le 23 octobre, cette exposition réunit quelque soixante-dix peintures et une vingtaine d’œuvres sur papier, représentatives de l’ensemble de la carrière du « maître d’Aix ». Avec un fil conducteur : l’amour de Cézanne pour la nature dans laquelle il était prêt à se perdre. Il peint en plein air, des paysages et beaucoup d’arbres, trimballant sur le dos son attirail de tubes, de pinceaux et de couteaux. D’abord entre Pontoise et Auvers-sur-Oise en compagnie de son maître Pissarro (La côte de Jalais à Pontoise, 1879-1881). C’est un tournant dans sa technique. Il fragmente la touche et éclaircit sa palette. Mais c’est surtout en Provence, près d’Aix où il est né le 19 janvier 1839 et où il finira sa vie, qu’il va pousser ses recherches sur la façon de rendre la perspective, d’intégrer la lumière uniquement par la puissance des couleurs, d’écarter toute indication de temps sur ses tableaux pour ne laisser parler que la nature. Il arpente chaque jour le chemin des Lauves en quête de la meilleure vue pour peindre sa chère Sainte-Victoire, son obsession picturale et sentimentale. Victime de son impérative nécessité de peindre, malgré sa fatigue, il s’y rend un jour d’orage, et décède quelques jours plus tard, le 23 octobre 1906, d’une congestion pulmonaire. Il voulait mourir le pinceau à la main : le ciel l’a entendu.

Le titre poétique de l’exposition, Cézanne - Le Chant de la terre, fait écho à la composition de Gustav Malher et au talent de Cézanne de faire chanter ses paysages, de colorer les ombres, de faire vibrer la lumière, de trouver le « ton » juste. Peint vers 1879, le tableau Montagnes en Provence / Le Barrage de François Zola (le père du futur écrivain) en est un parfait exemple par sa construction, son intensité chromatique. Comme un musicien qui sans cesse rejoue la même partition, Cézanne revisitera durant vingt ans la montagne Sainte-Victoire jusqu’à ne plus peindre que l’épure de ce relief sacralisé, par petites touches hachées de couleurs qui modèlent des formes géométriques, laissant des blancs dans sa toile, des zones sans couleur, s’éloignant de l’impressionnisme, tendant vers une abstraction chromatique (Le Jardin des Lauves, vers 1906).

Le parcours de l’exposition révèle de nombreux paysages (certains jamais vus en public, d’autres ne l’ayant pas été depuis le début du siècle dernier), et des natures mortes (avec une prédilection pour les pommes), peintes de façon nouvelle sur la base de la surface plane. Mais aussi quelques portraits (il en a brossé près de deux cents, notamment de son épouse Hortense, mais aussi de Zola qui fut son ami avant leur rupture en 1886, ou du jardiner Vallier) et des compositions de « Baigneurs » et « Baigneuses ». Cézanne très exigeant avec sa peinture jetait beaucoup de tableaux. N’ayant pas besoin de gagner sa vie, il vendait peu, était frileux face à la critique, cultivait une image de solitaire ombrageux. Entré dans la légende comme l’un des pères fondateurs de l’art moderne, admiré et suivi par des générations d’artistes, ce n’est pourtant qu’à partir de 1895 que Cézanne a commencé a être reconnu lors d’une exposition que lui consacre le marchand Ambroise Vollard et ce n’est qu’au Salon d’automne de 1904 que son œuvre est reconnue publiquement. Deux ans avant sa mort.

Un beau voyage en terre de Cézanne.

Catherine Rigollet

Visuels : Cézanne, Montagnes en Provence( Le Barrage de François Zola), vers 1879. Huile sur toile, 53,5 x 72,4 cm. Amgueddfa Cymru / National Museum of Wales, Cardiff - Gwendoline Davies Bequest, 1952 © National Museum of Wales.
Cézanne, Le jardin des Lauves, vers 1906. Huile sur toile, 65.6 x 81.3 cm. The Phillips Collection Washington DC, acquis en 1955 © The Phillips Collection, Washington, D.C.
Cézanne marchant - Auvers - photographie anonyme.

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 16 juin au 19 novembre 2017
Fondation Pierre Gianadda
Rue du Forum - Martigny, Suisse
Exposition ouverte tous les jours de 9h à 19h
Tarif plein : 20 CHF (18€)
Catalogue : 39 CHF (env. 35,50€)
www.gianadda.ch

 

Deux autres expositions rendent hommage à Cézanne :
 Portraits de Cézanne, au musée d’Orsay à Paris, du 13 juin au 24 septembre 2017.
 Cézanne révélé (du carnet de croquis à la toile), au Kunstmuseum à Bâle (Suisse), du 10 juin au 24 septembre 2017.