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Charlotte Salomon. Vie ? ou Théâtre ?

Jeune artiste juive allemande (née le 16 avril 1917 à Berlin), Charlotte Salomon a fui l’Allemagne en 1939 pour se réfugier chez ses grands-parents, dans le sud de la France, à Villefranche-sur-Mer. En exil, traumatisée par les suicides successifs de sa tante, de sa mère, de sa grand-mère et par l’avancée inexorable des nazis, dans l’urgence absolue de survivre, elle va créer entre 1940 et 1942 une œuvre des plus extraordinaires du vingtième siècle. Une œuvre d’art totale, tout à la fois sonore, visuelle et littéraire constituée de 1325 feuilles, dont 769 qu’elle sélectionne, classe et numérote pour Vie ? ou Théâtre ?, « une pièce chantée » selon sa propre définition. Arrêtée avec son jeune époux Alexander Nagler le 24 septembre 1943, elle est déportée le 7 octobre à Auschwitz et assassinée, sans doute dès son arrivée. Elle avait 26 ans, et était enceinte de cinq mois.

En 2006, nous avions découvert avec une grande émotion une sélection de 274 gouaches issues de Vie ou théâtre, exposée au musée d’art et d’histoire du Judaïsme. Des gouaches (32,5 x 25 cm) très expressionnistes, fourmillant de personnages représentés dans des scènes de vie quotidienne. Toutes sont peintes exclusivement en trois couleurs – jaune, rouge et bleu- et se lisent comme une œuvre narrative dont les protagonistes, présentés sous des noms imaginaires, évoquent ses proches. Tel Wolfsohn (devenu Daberlohn dans Vie ou Théâtre), son professeur de chant, très aimé, qui eut une grande influence sur Charlotte lui ayant donné confiance par cette phrase : « N’oublie pas que je crois en toi », prononcée juste avant sa fuite d’Allemagne. Elle-même est représentée sous le nom de Charlotte Kann.

Autobiographie ou autofiction (Charlotte ne dit jamais « je »), cette œuvre résonne comme un miroir de sa vie, une résistance à la mort et au désespoir pour cette jeune fille qui avait confié son œuvre au médecin de Villefranche avec ces mots : « c’est toute ma vie ». Comment d’ailleurs ne pas la lire en filigrane dans nombre de ses gouaches : telle celle pleine de tendresse et de tristesse à la fois, où elle représente sa mère devenue un petit ange, espérant qu’elle lui donne des nouvelles et lui dise « comment c’est là-haut, dans le ciel ». Ou dans ces nombreuses feuilles consacrées à Daberlohn, probablement son premier amour (rêvé, fantasmé ?). Et encore dans ces gouaches qui racontent la prise de pouvoir par les nationaux-socialistes, le renvoi des juifs comme le professeur kann (son père chirurgien) qui doit quitter l’université ou Paulinka Bimbaun (sa belle-mère cantatrice) interdite de concerts publics.

Une suite d’images puissantes formant une œuvre vitale, d’une dramaturgie à l’égal du cri d’Edvard Munch, un artiste qui l’a profondément marquée. Si elle n’a pu poursuivre ses études artistiques, la culture bourgeoise de Charlotte Salomon lui a permis de découvrir aussi les œuvres de Michel-Ange, Vincent Van Gogh, Auguste Rodin, Georg Grosz, Henri Matisse, Raoul Dufy, Marianne von Werefkin, Karl Hofer, Gustav Klimt, Rudolf Wacker, ou encore Marc Chagall dont on retrouve l’influence dans Vie ou théâtre. D’ailleurs cette œuvre créée comme une thérapie pour se protéger du suicide est loin d’être de l’art à l’état brut, il a atteint une réelle maturité et s’inscrit dans l’histoire de l’art.

« Vie ou Théâtre est avant tout un chant d’amour, l’un des plus beau du XXe siècle, où la passion enchaînée à l’art est à percevoir comme elle nous intime à le faire dans l’ubiquité de la remémoration et de la projection mentale », conclut Eric Corne, commissaire de cette exposition qu’il rêvait depuis longtemps de monter. On l’en remercie.

Catherine Rigollet

Visuels : Charlotte Salomon, gouaches from Life ? Or Theatre ?, 1940–1942, Villefranche-sur-Mer, France. Collection Joods Historisch Museum, Amsterdam. © Charlotte Salomon Foundation.

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 10 avril au 11 août 2019
Museu Coleçao Berardo
Centro Cultural de Belém
Praça do Império - Lisbonne
Tous les jours, de 10h à 19h
Tarif : 5 €
www.museuberardo.pt