Loin du foisonnement des manifestations du Festival Normandie impressionniste 2013 se déroulant dans les deux régions de la Normandie, l’abbaye de Saint-Riquier en Picardie accueille D’une rive, l’autre, exposition consacrée à l’une des sources d’inspiration des artistes français et anglais au XIXe siècle : l’eau en ses différents états et formes, dans cette époque riche en diversités esthétiques, de l’école du plein air au naturalisme, du romantisme au pointillisme. Dans ce voyage en une soixante d’œuvres, allant de l’intérieur des terres vers le rivage, de la mare stagnante vers la baie de Somme, du port vers la plage et de la falaise vers l’espace maritime, « l’on ne verra ni les peintres emblématiques de l’eau que furent les impressionnistes, ni de « grands » maîtres » comme le souligne le commissaire de l’exposition Jean-Luc Maeso. Exception cependant avec Courbet et Le ruisseau du puits noir et Signac Entrée de port, Portrieux accrochée volontairement, dans une totale opposition picturale, à côté d’une Vue du port de Boulogne d’Auguste Delacroix interprétée telle une marine hollandaise. Une façon de souligner fortement comme le rappelle le commissaire, que « beaucoup de peintres présentés ici furent des admirateurs des maîtres hollandais du XVIIe siècle, Looking across the forth ou River landscape de Samuel Bough en sont un autre exemple. ».
Goûtons pleinement notre plaisir, en découvrant des artistes que l’histoire de l’art du XIXe siècle focalisée sur l’impressionniste, a parfois négligés alors que certains furent des compagnons d’aventure d’impressionnistes ou de grands maîtres. L’on a oublié que Louis Braquaval (flamboyant Coucher de soleil en baie de Somme) reçut les conseils de Boudin et de Degas et que François Francia (délicates Barques échouées devant Calais) initia à l’aquarelle le britannique Richard Bonington (Bateaux de pêche à marée basse). Deux impressionnantes et saisissantes toiles nous projettent, en plein visage, les embruns des mers démontées de Jean Antoine Gudin, Entrée du port du Havre et de Francis Tattegrain, Retour de la pêche à Berck. Et Carolus-Durand, qualifié parfois de peintre mondain ou pompier, reçoit ici une juste reconnaissance avec Marée basse à Audresselles -renversant camaïeu du gris de ses rochers presque cézanniens- dialoguant avec la puissante Grande marée du trop oublié Alfred Mouillon. Mais pourquoi inclure dans ce circuit deux estampes de Turner, peu significatives de ce peintre et de plus « piquées » dans le sujet ? Et, pourquoi l’accrochage est-il parfois trop bas, nous procurant la sensation de survoler La dune de Saint-Frieux de Francis Tattegrain et Les dunes de Saint-Quentin-en-Tourmont de Karl Daubigny comme si nous étions des mouettes !
Une belle halte vers la baie de Somme, là où le miroir mouvant de la mer se confond avec l’horizon dans les variations infinies de la lumière du Nord ; et comme une façon de préparer visuellement les vacances.
Gilles Kraemer
Visuel : Francis Tattegrain (1825-1915), Retour de la pêche à Berck, 1878, huile sur toile, 176,5 x 135,4 cm. Senlis, musée d’Art et d’Archéologie. © DR