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La Comédie humaine de Balzac vue par Eduardo Arroyo

Eduardo Arroyo s’est fait connaître dans les années 1960, comme l’un des fondateurs de la « Figuration narrative » aux côtés de Télémaque, Monory, Aillaud et Adami, avec pour objectif de faire de l’art un outil de transformation sociale. Né à Madrid en 1937, Arroyo s’est exilé à Paris en 1958 par détestation du régime franquiste. Sa peinture, aux couleurs vives et au dessin précis exprime ce tempérament de peintre engagé dans la politique autant que dans l’art. Installé à Montparnasse, plongé tout entier dans la peinture, son médium privilégié, il se passionne aussi pour la littérature. « Je passe plus de temps dans les librairies que dans les salles aseptisées des musées d’art contemporain », écrit-il dans « Minutes d’un testament », en 2010.

L’œuvre d’Honoré de Balzac, découverte lors de ses années de lycée en Espagne, le fascine par-dessus tout. À tel point qu’il renoue en 2013 avec l’auteur de La Comédie humaine, puisant dans tous ses textes, et dans la figure même de l’écrivain, l’inspiration et le sujet d’une fabuleuse série de « portraits ». Arroyo n’illustre pas La Comédie humaine, il se nourrit littéralement des quelque 2 500 personnages, issus de toutes les couches sociales, décrits par Balzac, et en brosse de piquants portraits au moyen de techniques très diverses.
Ce sont des visages dessinés dans l’esprit des gravures inspirées du Chef-d’œuvre inconnu de Balzac que Picasso fit à la demande de Vollard. La photographie d’une femme élégante choisie par Arroyo pour représenter Madame Hanska et sur laquelle il colle un portrait griffonné de Balzac. Des visages de l’écrivain crayonnés sur des papiers de son atelier qui ont gardé des traces de pots de peinture, de coulures et d’essais de couleur. On s’amusera aussi de ce double portrait de Balzac, dont le visage de droite est couvert d’un cadran téléphonique renvoyant au générique du publicitaire Jean Mineur, projeté dans les cinémas jusqu’en 1971. Souvenons-nous de ce qui était annoncé lorsque le petit mineur lançait sa pioche au centre de la cible : Jean Mineur, Balzac 00 01 !

Nostalgique Arroyo, qui raffole des collages de petits fragments de vieilles photographies grises ou sépia, les sélectionnant en fonction de leur teinte, de leur graphisme, sans doute aussi de ce qu’elles évoquent de souvenirs à ses yeux. Si l’on regarde de près, on discerne des champs, une péniche sur un canal, un portrait de femme, des façades d’immeubles, des intérieurs de salons bourgeois, une barque échouée sur le rivage… Arroyo les assemble et les colle bord à bord, à la manière d’une mosaïque ou d’une marqueterie d’ébéniste, pour constituer des caricatures sorties tout droit de l’univers balzacien. Défilent sous nos yeux : Schmucke (Le Cousin Pons), Le père Goriot, le juge Popinot, Mademoiselle Evangelista (Le Contrat de mariage), Massimila Doni… Mais aussi des amantes de Balzac, telles Olympe Pélissier ou encore Madame Aymon, dite la Belle Zélie, ancien modèle du peintre Horace Vernet et grande courtisane, maîtresse en titre d’Eugène Sue qui lui fit quelques infidélités au profit de Balzac. On découvre aussi des représentations des domiciles de Balzac, comme Les Jardies près de Sèvres ou l’hôtel particulier de la rue Fortunée (devenue rue Balzac) acquis pour y accueillir Mme Hanska, l’amour de sa vie. Dans ces représentations d’intérieurs, l’espace est curieusement compartimenté, les motifs figuratifs renvoient à différentes époques. Un assemblage conceptuel qui inclus toujours la présence d’un croquis figurant Balzac.

Les lectures d’Arroyo éveillent chez lui des réminiscences, suscitent des réactions parfois fortes. Ainsi pour Arroyo, qui a détesté le régime de Franco soutenu par l’armée, le colonel Chabert est avant tout un militaire, un pantin qu’il représente comme taillé dans du bois. D’Elisabeth Baudoyer (Les Employés (1838), petite bourgeoise « dont les qualités sont presque des vices » écrit Balzac, il va faire un portrait au vitriol, plein de laideur et de vulgarité. Arroyo n’est pas tendre. Ses portraits sont souvent à charge, comme chez Daumier. Et il est d’autant plus savoureux de les admirer dans la bucolique maison du génial écrivain à la robe de bure, nichée sur les coteaux de Passy, qui conserve, exposée sur les murs d’une pièce, une fabuleuse collection de plaques de gravures sur bois de portraits ayant servi à illustrer différentes éditions des œuvres de Balzac.

Arroyo n’a pas terminé son projet, brisé net par sa disparition en 2018, à 81 ans. À travers une trentaine de peintures, collages et dessins, l’exposition offre un bel aperçu de son art, de sa capacité à croiser littérature et peinture, de sa liberté de ton, de l’exubérance de son talent à rendre l’expressivité des figures, de sa dérision face à la dramaturgie de la vie.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 6 février au 10 mai 2020
PROLONGATION JUSQU’AU 16 AOUT
Maison de Balzac
47, rue Raynouard 75016
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Tarif plein : 8 €
www.maisondebalzac.paris.fr


Visuels : Élisabeth Baudoyer, 2014. Collage. Collection Eduardo Arroyo. Photo D.R
Colonel Chabert, 2014. Collage sur papier. Collection Eduardo Arroyo.
Balzac 1850, 2014. Huile sur toile. Collection particulière. Photo D.R
Les Jardies, 2014. Collage et technique mixte sur papier. Maison de Balzac. Photo D.R.