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Edward Hopper. Cinéma muet

S’il y avait au moins une seule bonne raison d’aller voir, sans craindre l’affluence qui s’annonce, la rétrospective Edward Hopper (1882-1967) au Grand Palais, la première d’une telle ampleur en France (128 œuvres d’Hopper sur les 163 présentées), ce serait pour dépasser le statut iconique que certaines de ses toiles (House by the Railroad , Summertime, Gas ou Nighthawks, pour ne citer que quelques-unes de ces « œuvres-posters ») ont acquis depuis la mort de l’artiste comme représentatives de l’art américain au XXe siècle, voire de la civilisation américaine tout court. D’autant plus iconique qu’il a toujours existé, au moins à partir du moment où Hopper a été connu à la fin des années vingt, une corrélation évidente entre son œuvre et le cinéma (de Hawks à Lynch en passant par Hitchcock ou Wenders), le cinéphile Hopper n’ayant pas été moins influencé par un art en pleine ascension.
À ce propos, Wim Wenders donne de l’œuvre de Hopper une analyse « cinématographique » : « On lit clairement dans les tableaux de Hopper qu’il aimait le cinéma et que la toile blanche devant laquelle il s’est si souvent tenu dans son atelier lui était familière. Donner à toute chose une forme définie, lui désigner sa place, surmonter le vide, la peur et l’horreur en les bannissant sur cette toile blanche justement : c’est cela que son œuvre a de commun avec le cinéma et qui fait de Hopper un grand conteur de la toile blanche –celle du chevalet- à côté des grands peintres de la toile blanche du cinéma. »
Au-delà des œuvres iconiques, presque toutes exposées, la rétrospective du Grand Palais, d’une grande sobriété et clarté, nous en apprend beaucoup sur les années de formation de l’artiste, de l’atelier de Robert Henri (New York School of Art) à ses séjours parisiens (1906, 1909, 1910), où il s’intéresse plus aux impressionnistes et au musée du Louvre qu’aux avant-gardes contemporaines (fauvisme ou cubisme), et la façon dont Hopper s’est détaché peu à peu de ses influences pour trouver et finalement imposer son propre style, son évolution progressive d’une « esthétique française » vers un art plus américain tout en conservant une originalité dans le traitement de la lumière et le choix du cadrage qui signent sa manière. Sa francophilie artistique s’exprima d’ailleurs tout au long de son œuvre, de Soir Bleu (1914) à Two Comedians (1966), son dernier tableau sur lequel il se représente en Pierrot aux côtés de sa femme en Colombine, les deux saluant leur public, où les commentateurs ont vu tout autant un hommage à Watteau qu’au Marcel Carné de Les Enfants du paradis.
On découvre aussi son travail « alimentaire » d’illustrateur ainsi que ses gravures et aquarelles qui, les premières, lui apportèrent suffisamment de notoriété et d’indépendance financière pour lui permettre de ne se vouer qu’à sa vie créatrice. On voit très bien ce qui peut rapprocher son art, au point d’avoir influencé Hopper, des photos de Brady et Atget présentées ici. En revanche, on discerne moins le rapport entre les photos « connotées » et même protestataires de diCorcia (un diaporama lui est consacré) et l’œuvre du peintre d’une grande neutralité idéologique, sinon métaphysique. Dans leur composition peut-être... On s’accordera pourtant avec le commissaire de l’exposition, Didier Ottinger, lorsqu’il définit Hopper de « plus abstrait des peintres réalistes ». « Hopper est tout à la fois un peintre réaliste et un artiste conceptuel, le réalisateur de films sans histoires, le conteur de fables métaphysiques au temps du matérialisme le plus obtus. Là réside sa complexité. » L’œuvre de Hopper marque le passage lent, par le traitement de l’espace, d’un cadre souvent « excentré », de personnages peu expressifs et théâtralisés -lorsqu’il y en a de représentés-, d’une époque à une autre, en gros du XIXe au XXe, de Paris à New York. Edward Hopper pourrait bien être le peintre de l’interstice du temps en invitant à la réflexion ou à la rêverie, plutôt qu’à la mélancolie ou à la solitude dont on a trop souvent et abusivement qualifié son œuvre, par les lignes de fuite que suggèrent ses tableaux.

Jean-Michel Masqué

 A lire : Hopper, ombre et lumière du mythe américain. Par Didier Ottinger. Découvertes Gallimard.

Visuel page expo : , Edward Hopper, Morning Sun, 1952. Huile sur toile, 71,4 x 101,9 cm. Ohio, Columbus Museum of Art. Howald Fund Purchase 1954.031 © Columbus Museum of Art, Ohio
Edward Hopper, Nighthawks, 1942. Huile sur toile, 84,1 x 152,4 cm. Chicago, The Art Institute of Chicago, Friends of American Art Collection. © The Art Institute of Chicago

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 10 octobre 2012 au 3 février 2013
Grand Palais, entrée Champs-Elysées
De 10h à 22h du mercredi au samedi. De 10h à 20h le dimanche et lundi.
Plein tarif : 12€
Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais et le musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (où elle fut présentée du 12 juin au 16 septembre 2012, dans un plus petit format) en partenariat avec le Centre Pompidou.