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Fernand Khnopff. Le maître de l’énigme

Maître du Symbolisme belge et proche d’artistes préraphaélites comme Burnes-Jones et Rossetti, Fernand Khnopff (1858-1921) est surtout connu pour ses portraits et nus de femmes à la chevelure rousse, vaporeuse, représentées derrière des voilages ou dans un halo, comme sorties d’un songe. Il a aussi beaucoup peint (huile ou pastel) ses proches, notamment sa sœur Marguerite, sa muse ; utilisant de façon très moderne la photographie pour étudier pose et gestuelle de son modèle favori. Portrait de Marguerite Khnopff (1887), l’un de ses portraits les plus troublants, était accroché dans la Chambre bleue de la maison que l’artiste s’était fait construire avenue des Courses à Bruxelles. Marguerite, grande et mince jeune femme, y est vêtue d’une longue robe blanche et porte des gants. Elle ne nous regarde pas, mais semble absente, plongée dans une lointaine rêverie. Derrière elle, une porte fermée et un mur terne et nu ; seul un petit disque d’or sert de décor, renforçant l’étrangeté de la scène.
Ce disque évoque aussi l’attrait irrésistible de Khnopff pour le cercle, symbole de perfection. L’artiste avait même posé son chevalet à l’intérieur d’un cercle d’or tracé au sol de son atelier. Sans doute peut-on relier au cercle la bulle de savon, autre élément symbolique qui apparait pour la première fois dans Près de la mer, en 1890.

Fasciné par l’univers de l’intériorité, du songe, de l’onirisme, Khnopff l’est aussi par la figure d’Hypnos, dieu du Sommeil, fils de la Nuit et de l’Erèbe, frère jumeau de la Mort (Thanatos). Khnopff reproduira dans plusieurs de ses peintures la tête d’Hypnos attribuée au sculpteur grec Scopas ; une tête ailée (une seule aile), qu’il se plait souvent à colorer en bleu (I lock my door upon myself, 1891 et Une aile bleue, 1894).
Le thème du sommeil est repris aussi dans Sleeping Medusa (ou la Méduse endormie, 1896), qui combine les traits de Méduse et ceux d’un aigle dont le plumage descend jusqu’au ras du sol. Autre grand mythe antique, Œdipe va lui inspirer L’Art ou Des Caresses (1896), l’un de ses plus sensuels et énigmatiques tableaux. On y voit Œdipe debout, joue contre joue avec un sphinx présentant les traits de Marguerite, le reste du corps étant celui d’un guépard.

Beaucoup moins connue du grand public, la peinture de paysage aux tonalités grises de Fernand Khnopff reflète pourtant l’esthétique singulière qui parcourt tout l’œuvre de l’artiste ; un concentré de mystère, de mélancolie, de désenchantement, voire de pessimisme. Qu’il s’agisse des paysages de Fosset, dans les Ardennes belges où sa famille possédait une propriété ; des œuvres habitées d’une étrange solitude. Ou des vues de Bruges, de loin les plus captivantes. Avec un dessin strict et appliqué, comme le pratiquait le peintre flamand Memling qui vécut et travailla à Bruges au XVe siècle, Khnopff y capte, non pas le réel, mais ce qu’il voit au-delà des apparences : la mélancolie des ruelles pavées et des canaux à l’eau noire et froide (Souvenir de Flandre, un canal, 1904), le vide d’une vaste place menant au portail d’une église (À Bruges. Un portail, 1904) ou ce pont menant au béguinage (Souvenir de Bruges. L’entrée du béguinage, 1904). Ici, ce n’est pas le pont relégué au fond du tableau qui intéresse l’artiste, mais l’immense étendue d’eau grise et dormante reflétant les maisons alentours, et sur laquelle flottent des nymphéas peinant à se distinguer de la grisaille environnante. Des paysages désenchantés, sans nulle âme qui vive.

Cette exposition de près de 150 pièces (prêts de nombreux musées, comme le Metropolitan Museum de New York, la Neue Pinakothek de Munich, l’Albertina de Vienne mais aussi de collections privées) est conçue par Michel Draguet, directeur des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, spécialiste de Khnopff, ce solitaire dont la devise était « On n’a que soi », qui travaillait en musique et parsemait sa maison-atelier de diffuseurs de parfum. Envoutante atmosphère qu’on retrouve dans les toiles de cet artiste secret qui a toujours refusé d’expliquer son art.

Catherine Rigollet

 


 À voir aussi au Petit Palais jusqu’au 31 mars 2019 :
Jean-Jacques Lequeu, le bâtisseur de fantasmes

Visuels : Khnopff, Souvenir de Flandre, un canal, 1904. Craie et pastel sur papier.
Khnopff, Souvenir de Bruges. L’entrée du béguinage, 1904. Craie et pastel sur papier.
Khnopff, Portrait de Marguerite Khnopff, 1887. Huile sur toile, 96 x 74,5 cm, Bruxelles, Fondation Roi Baudoin. Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles (dépôt). MRBAB, Bruxelles.
Khnopff, Sleeping Medusa ou Méduse endormie, 1896. Pastel sur papier. Collection Particulière. Photos : L’Agora des Arts. 10 décembre 2018.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 11 décembre 2018 au 17 mars 2019
Petit Palais
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h
Plein tarif : 13 €
Tarif billet couplé avec « Jean-Jacques Lequeu, le bâtisseur de fantasmes » : 15 € (tarif plein)
Tél. 01 53 43 40 00
www.petitpalais.paris.fr