Le bleu se conjugue au pluriel
Regarder, s’immerger et se laisser gagner par la rêverie face à la peinture de Geneviève Asse (née en 1923) qui provoque, chaque fois, le silence et la contemplation. Son œuvre, dans lequel le bleu se conjugue au pluriel, nous inonde, telles les grandes marées de sa Bretagne natale. Sa pratique pure et presque ascétique de l’acte de peindre nous fascine dans cette grande exposition de 68 peintures (elle grave et crée des cartons de vitraux aussi) organisée par le centre Georges Pompidou autour de la donation, de onze peintures de 1948 à 1999, faite par l’artiste à cette institution pour laquelle elle éprouve « une certaine faiblesse aussi bien pour le lieu qu’en mémoire de l’ancien président de la République, ami des artistes ».
Dès La cuisine (1946), on perçoit les constantes de son œuvre, « le format tout en hauteur, la monumentalité, l’échantillonnage de bleus qui seront ceux de Geneviève tout au long de sa carrière », souligne Christian Briend l’heureux commissaire de cette exposition. Ce bleu, conjugué dans toutes les nuances, est un hommage à l’iconique Vase bleue de Paul Cézanne, dont elle en gardait une reproduction lorsqu’elle participa aux campagnes d’Alsace et d’Allemagne avec la 1re DB en 1944-1945, et participa à l’évacuation des déportés. Cette admiration pour le maître d’Aix-en-Provence, et également pour Chardin, se retrouve dans Composition à la fenêtre, vers 1950, dans cette lumière, dans ce torchon camaïeu de blancs, dans ce paysage cubiste derrière la vitre. Peu à peu, sa peinture tend vers le presque rien, cet indéfinissable qui est tout, l’objet disparaît au profit de la couleur. Mais, elle reste au bord de l’abîme du monochrome : à chaque fois un trait blanc ou rouge (Angle rouge II) ou un tasseau de bois inclus dans la toile (Ouverture verticale), telle une égratignure sur la toile, la retient de plonger dans la couleur pure. Les sept immenses Stèles, hommage au recueil éponyme du grand voyageur et poète breton Victor Segalen dont elle aime « ses poèmes simples dans lesquels la lumière existe », sont un magnifique exemple de ce voyage intérieur vers lequel Geneviève Asse nous conduit.
Des peintures de petit format (de l’atelier de l’artiste) inédites et un large choix de carnets à dessin ou sous format leporello (livre accordéon), peints, sont également présentés. Ces carnets, qu’elle considère comme un journal qu’elle regarde avant de peindre, comme « une espèce de nourriture » sont la part la plus secrète de son œuvre. « Il faut être très sévère avec son travail et quand c’est raté, je ne garde pas les toiles qui ne servent à rien. Chaque chose est à sa place » dit-elle pour décrire son rigoureux parcours pictural depuis 1940, avec la modestie qui caractérise cette grande dame de la peinture qui, à 90 ans, regarde avec intérêt la nouvelle génération montante. « C’est joli ce que le jeune a fait à côté de moi » conclut-elle en parlant de l’exposition de Dove Allouche qui vient de débuter en même temps que la sienne au Centre Pompidou. Des mots simples mais un bel hommage.
Gilles Kraemer
Visuel : Geneviève Hasse, La Cuisine 1946 1947 coll Centre Pompidou Musee national d art moderne Adagp Pris 2013