Duel au sommet
Après l’exceptionnelle donation faite en 2009 au musée de Tourcoing par les deux fils d’Eugène Leroy (1910-2000) et présentée à l’occasion du centenaire de la naissance du peintre en 2010, le MUba a souhaité demander à un artiste contemporain de porter son regard sur Leroy. Baselitz, fortement impressionné par Leroy, s’est très vite imposé.
Peu de chose unit toutefois le peintre Eugène Leroy et le peintre, sculpteur et graveur Georg Baselitz (né en 1938 à Deutschbaselitz en Saxe), hormis la peinture et l’admiration-critique que le second voue au premier depuis qu’il a découvert son œuvre au début des années 1960, à la galerie Claude Bernard à Paris. Ce qui est déjà beaucoup. Mais est-ce assez pour confronter dans un même espace ces deux géants de l’art qui n’ont aucun rapport formel entre eux ? Pour exposer côte à côte les immenses portraits, tête en bas, réalisés avec une peinture fluide, « aussi mince que de l’eau », par Georg Baselitz dont le retournement de sujet caractérise désormais le travail, et les tableaux d’Eugène Leroy dont les sujets ne sont que prétexte à explorer dans l’intemporalité et la sensualité, par un matériau aussi épais qu’une accumulation de « fientes de pigeons » (selon l’expression de Baselitz), ce qu’il nomme la lumière.
Cette première expérience de confrontation, qui met en scène près de quarante tableaux de très grands formats de Baselitz (tous des années 1995 à 97 et sur le thème du portrait de famille) et une vingtaine de peintures d’Eugène Leroy (de 1960 à 2000), issues pour la plupart de la Donation Eugène Jean et Jean-Jacques Leroy constitue davantage deux parcours en parallèle, qui n’ont de rapport que dans le discours. Mise en scène, à l’invitation d’Evelyne-Dorothée Allemand directrice du MUba, par Rainer Michael Mason, spécialiste de Baselitz dont il prépare le catalogue de l’œuvre gravé, l’exposition dérange aussi par une surreprésentation de celui que Mason nomme “le Protée de la peinture allemande”, « parce qu’il n’a cessé d’inventer, de rebondir et de surprendre ». Un Baselitz qui considère être l’un des “inventeurs” de Leroy, en ayant contribué au début des années 1980 à donner à ce dernier une visibilité européenne en incitant Michael Werner à découvrir son travail et à l’exposer dans sa galerie, tandis que Leroy, qui rencontra tardivement l’artiste allemand en 1990, disait en parlant de Baselitz : « c’est moi qui l’ai fait ! ». Un passionnant duel entre ces deux fascinants créateurs, qui se sont peu fréquentés, mais ont tous deux tenté percer le mystère du visible en faisant de la peinture le sujet essentiel de leur œuvre.
Catherine Rigollet
Visuel page expo : Têtes, 1987. Huile sur toile. 92 x 65 cm. MUba Eugène Leroy, Tourcoing. Donation Eugène Jean et Jean-Jacques Leroy, 2009. © Muba Eugène Leroy, 2013. Photo : DR
Visuel vignette : Selbstporträt Dummkopf [Autoportrait benêt], 1997. Huile sur toile. 200 x 162 cm. Collection de l’artiste. © Georg Baselitz, 2013. Photo : Jochen Littkemann.